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Pologne: «Les migrants et les réfugiés ont été des boucs-émissaires toute la campagne présidentielle»

Rédigé par leral.net le Mardi 20 Mai 2025 à 12:26 | | 0 commentaire(s)|

Alors que l'extrême droite a réalisé le meilleur score de son histoire au premier tour de l'élection présidentielle polonaise, l'immigration a été un des thèmes centraux d'une campagne électorale, qui s'est nettement droitisée. Entretien avec Kalina Czwarnóg, membre du conseil d'administration de la Fondation Ocalenie, qui vient en aide depuis 25 ans aux migrants, un peu partout en Pologne.


RFI : L’immigration a été l’un des principaux sujets de cette campagne électorale polonaise, comment l’expliquez-vous ?

Kalina Czwarnóg : Ce n’est pas la première fois que l’immigration et les réfugiés sont parmi les thèmes principaux de la campagne présidentielle. En 2015, c’est une thématique que le parti Droit et Justice (PiS) avait beaucoup utilisée et cela lui avait bien réussi puisque grâce à un discours très populiste et raciste, ils avaient gagné les élections présidentielles, puis législatives. Suite à cela, ils se sont maintenus au pouvoir huit ans. Utiliser cette rhétorique n’est donc pas quelque chose de nouveau, mais la différence cette fois-ci, c’est que ce ne sont pas uniquement pour les candidats les plus à droite que les migrants et les réfugiés ont été des boucs émissaires tout au long de la campagne présidentielle. Les candidats plus libéraux ont, eux aussi, repris les mêmes arguments et la même rhétorique que l’extrême droite.

Vous faites référence à Rafal Trzaskowski, le candidat libéral de la Coalition civique, qui a beaucoup durci son discours contre l’immigration durant la campagne ?



Oui. Trzaskowski a par exemple proposé de limiter l’accès aux aides sociales aux réfugiés ukrainiens. En reprenant le discours de l’extrême droite, le camp libéral en a fait quelque chose de banal. Les résultats du premier tour de l’élection montrent que cela ne lui a pas rapporté de voix supplémentaires, cela a juste permis à l’extrême droite de gonfler ses résultats.


Pendant la campagne, il y a eu énormément de désinformation à propos des migrants, notamment sur les réseaux sociaux. Quelle en a été la conséquence ?

Le ramadan a eu lieu au mois de mars en pleine campagne électorale. À cette période, beaucoup de musulmans se rassemblaient dans des mosquées souvent trop petites, ils étaient parfois obligés de rester dehors. De nombreux politiciens d’extrême droite ont alors posté des photos à ce sujet, qui n’étaient pour certaines même pas prises en Pologne, sur les réseaux sociaux. Ces messages sont devenus viraux et de nombreuses personnes de couleurs et de demandeurs d’asile ont été victimes d’agressions dans le pays. Malheureusement, beaucoup de politiciens n’ont pas grand-chose à faire des conséquences que peuvent avoir ce qu’ils postent sur les réseaux sociaux sur la vie de tous les jours de certaines personnes.

Diriez-vous qu’il y a une forme de racisme anti-migrants en Pologne ?

Malheureusement, oui. Il est très facile de faire croire aux Polonais que les migrants sont un danger, car en Pologne, il y a encore assez peu d’immigration visible. Bien évidemment, dans les grandes villes comme Varsovie, il y a des gens qui viennent du monde entier, mais dans les plus petites villes et les villages, il y en a très peu. C’est donc très facile de faire avaler tout un tas de mensonges aux Polonais sur les migrants, car ils ont souvent une mauvaise perception de la réalité. La plupart d’entre eux n’ont pas de voisins qui seraient des migrants et leurs enfants n’ont pas de copains d’école dont la famille serait elle-même issue de l’immigration. Pour beaucoup de gens, la réalité, c’est ce qu’ils voient à la télévision, et malheureusement, on n’y entend pas de voix fortes qui puissent contredire les politiciens quand ils avancent que la principale menace à laquelle fait face la Pologne, c’est l’immigration.

Le nombre de migrants qu’accueille la Pologne ne peut-il pas, à terme, susciter un problème pour le pays ?

Il y a un peu plus de deux millions d’immigrés légaux en Pologne et je ne pense pas que ce chiffre constitue un fardeau pour un pays et une économie de cette taille. Je ne pense pas que la question soit financière, c’est juste un problème de volonté politique. L’immigration est un fait et on ne peut pas faire comme si elle n’existait pas. Notre économie a de toute façon besoin des immigrés. Notre main d’œuvre est de moins en moins nombreuse et les Polonais ont de moins en moins d’enfants. Mais je crois qu’aucun parti politique n’a assez de courage pour le dire ouvertement, ils ont peur de perdre des voix.

À quel point peut-il être compliqué d'être un immigré aujourd'hui en Pologne ?

Pendant la campagne, certains bénéficiaires de notre ONG ont été verbalement et physiquement attaqués dans la rue. L'atmosphère est de plus en plus lourde, et ils sentent bien parfois qu'ils ne sont pas en sécurité. Ce n'est pas facile d'être un immigré en Pologne, en particulier s'il est visible que vous venez d'ailleurs. Personne ne mérite cela, car la sécurité fait partie de nos besoins primaires et ce ne devrait pas être quelque chose de compliqué pour les politiciens de la rendre accessible à tout le monde.

RFI