L’automédication ou l’utilisation d’un médicament par une personne sur sa propre initiative comporte des dangers. Il est conseillé d’aller à l’hôpital dès les premiers signes de maladies. Dans ce reportage, des personnes qui préfèrent l’automédication, donnent leurs raisons.
Par Babacar Guèye DIOP
Ndèye Maguette Thioune souffre dans sa chair. Cadre dans une banque de la place, la trentenaire, habitante à l’Unité 15 des Parcelles Assainies, a mal partout. Elle a le visage bouffi, la mine déconfite. Pour se déplacer de son lit, l’exercice est délicat, difficile. « J’ai une angine qui me cloue au lit », se plaint-elle, recroquevillée dans sa chambre. « J’ai aussi froid », ajoute Ndèye Maguette. Voilà 3 jours qu’elle n’est pas allée au travail. À l’hôpital aussi. « J’avais demandé à ma petite sœur de m’acheter le médicament doliprane. Mais, si l’angine a baissé d’intensité, j’ai toujours mal au corps. À l’hôpital, on paie cher et on ne s’en sort pas », explique cette mère de 38 ans. Cependant, son refus d’aller voir le médecin a des conséquences. Après le médicament cité, Ndèye Maguette Thioune en a pris d’autres (Fervex et Amoxicilline). Ses yeux sont rougis, en plus d’une fièvre qui s’est emparée de son corps. « Devant l’urgence, on m’a transportée à l’hôpital Mame Abdou Dabakh des Parcelles Assainies où j’ai subi 2 perfusions. Le médecin m’a dit que j’ai piqué une grippe. Désormais, lorsque j’aurais des signes de maladie, je me rapprocherais de l’hôpital », confie-t-elle, un brin soulagé.
Au Sénégal, comme dans de nombreux pays, la pratique de l’automédication est courante. En général, certains Sénégalais font recours à la médecine traditionnelle ou pratiquent l’automédication. Pour Mame Astou Diop, l’automédication est de mise chaque fois qu’un de ses 5 enfants a un problème de santé. Sa fille Dieynaba Hann, 9 ans, suffoque depuis des jours. Face à la persistance de la maladie qui pollue le quotidien de l’enfant, obligée de sécher les cours, la mère de famille, établie à Yoff-Tonghor, appelle son ami pharmacien. « Je lui ai dit que ma fille tousse à longueur de journée et il m’a recommandé « Naturex ». L’enfant l’a pris et, désormais, tout va bien », sourit-elle dans l’inconscience. À force d’aller dans les hôpitaux, Mame Astou dit connaître le type de médicament pour chaque affection.
Pape Samba Fall, lui, est asthmatique depuis sa naissance. Si sa mère a fait des semaines avec lui dès ses premiers jours sur terre, cela ne fait pas de cet enseignant un homme qui fréquente régulièrement les structures sanitaires. « Je pratique tout le temps l’automédication. Quand j’ai des problèmes de respiration, je vais directement à la pharmacie pour acheter des médicaments pour les asthmatiques », explique M. Fall, professeur de Mathématiques-Physique et Chimie.
Raison pour laquelle, le 3 février 2024, lorsque qu’il étouffe au milieu de la nuit, sa première pensée est de réveiller son frère pour lui enjoindre d’aller voir une officine de garde. Coup de chance : la pharmacie Mame Ndiaré, située sur la route de l’aéroport de Yoff, assure le service de veille nocturne. Mais, le pharmacien dit niet. Il ne vend pas de médicament sans ordonnance. Pape Samba Fall, qui aspire avec frénésie l’air, tel un sprinter de 100 mètres, en fin de course, demande à ce qu’on lui achète des pastilles et du lait. « Je n’ai pas confiance aux hôpitaux du Sénégal, parce que les tarifs sont élevés et, très souvent, la maladie va persister. Avec l’automédication, je m’en suis toujours sorti », se réjouit-il.
Se rapprocher des structures sanitaires
Dans le même quartier, Soukeye Ndoye a un salon somptueux décoré par des fauteuils, un téléviseur, une radio et des meubles. Dans un placard placé dans un coin, sont rassemblés beaucoup de médicaments : paracétamol, ibuprofène, amoxicilline, Ca C 1000, … « Quand mes enfants sont malades, je leur donne ces médicaments. Si c’est périmé, je les jette. Sinon, je l’utilise pour moi aussi. Le coût de la prise en charge d’un malade n’est pas à la bourse de tout le monde dans les hôpitaux », se justifie-t-elle.
Par contre, le médecin-chef du Centre de santé Philipe Maguilen Senghor, Dr Abdou Karim Diop, invite les malades à se rapprocher des structures sanitaires pour des consultations. Selon lui, l’automédication comporte des risques. « Lorsque les bactéries ou virus entrent dans l’organisme, ils vont tenter de créer des dégâts, parce qu’ils veulent tout simplement se développer. Ils vont détruire nos tissus et la personne victime peut tomber malade. La seule solution est de consulter un médecin », a-t-il expliqué.
DR ASSANE DIOP, PHARMACIEN
« L’automédication comporte des risques très graves »
L’automédication comporte des dangers qui peuvent conduire à des complications allant de l’aggravation de la maladie à la mort, en passant par le développement d’autres pathologies. C’est l’alerte du pharmacien Dr Assane Diop qui demande aux populations de se rapprocher des hôpitaux en cas de maladies.
Quels sont les dangers de l’automédication ?
Ils sont nombreux. Cela peut toucher la maladie qu’on veut traiter, mais aussi la personne qui prend le médicament sans un avis éclairé d’un professionnel de santé. Il peut également y avoir un effet sur l’environnement. Premièrement, le fait de se livrer à l’automédication peut masquer des signes ou fausser un diagnostic. Cela favorise le développement ou l’aggravation d’une maladie. Par exemple, quelqu’un peut avoir une infection de type viral, lorsqu’il prend un anti-inflammatoire, ce sont ces médicaments qui peuvent favoriser le développement de la maladie. Une personne pas avisée, n’est pas censée le savoir. De plus, une personne peut avoir l’hyperglycémie, peut-être un début de diabète, il y a des médicaments qui augmentent le taux de sucre et aggravent sa maladie. On peut prendre l’exemple des infections d’origine parasitaire ou bactérienne qui favorisent la baisse des défenses immunitaires. Si on prend les conséquences sur les organes, la physiologie de la personne, il y a certains médicaments qui peuvent générer ou aggraver une maladie existante. Pour quelqu’un qui souffre de maladie rénale, prendre certains médicaments peut conduire à la mort. L’exemple type que nous avons sont les anti-inflammatoires chez les personnes âgées. Les femmes enceintes ne doivent aussi en aucun cas utiliser des anti-inflammatoires.
Parfois, lorsque nous avons des maux de tête, de dents… on prend des médicaments comme l’aspirine, l’ibuprofène ou le paracétamol. Est-ce qu’il y a des risques de les consommer sans aller chez le médecin ?
Il y a des risques très graves. Quelqu’un qui a mal aux dents, avec une carie dentaire, doit éviter les anti-inflammatoires, sauf s’il y a une bonne dose d’antibiothérapie. Le fait de prendre un anti-inflammatoire soulage tout de suite, mais complique la tâche au dentiste parce que cela peut créer une diffusion de l’infection au niveau de la gencive. L’aspirine également a des contre-indications. On ne doit pas la prendre à chaque fois qu’on suspecte une infection. Maintenant, le danger réside surtout dans la dose. Quelqu’un qui a une rage de dent a tendance à renouveler les prises. La conséquence, c’est un surdosage. Le cas le plus anodin est le paracétamol qui, à certaine dose, détruit, de manière irréversible, le foie. Ce qui va créer des complications, voire le décès. Cette dose, c’est autour de 8 grammes dans les 24h. De plus, le fait de prendre des antibiotiques, à des doses insuffisantes et à des durées courtes, peut à la longue générer des résistances bactériennes. Cela commence à créer de gros problèmes. La conséquence est qu’on se retrouve avec très peu d’antibiotiques devant certaines pathologies dans des structures hospitalières.
Au-delà de l’ignorance des personnes qui se livrent à l’automédication, peut-on aussi pointer la responsabilité du pharmacien ?
On peut le dire dans la mesure où les personnes prennent ces médicaments dans la pharmacie. Mais, il y a aussi cette tendance à prendre des médicaments accessibles. Ainsi, on peut avoir ces produits à coût très faible. L’ibuprofène, le paracétamol ne sont pas chers. Tout cela favorise l’automédication. C’est pourquoi quand le pharmacien demande à l’utilisateur du produit, les populations doivent lui dire la vérité, c’est pour éviter les dangers. Mais, cela va au-delà du pharmacien. Maintenant, ce sont des conseils au téléphone, des sms. Donc, il y a beaucoup de choses qui favorisent cette automédication.
Est-ce qu’il y a une précision faite sur les médicaments qui doivent être vendus obligatoirement avec ordonnance par rapport à d’autres ?Je dois vous préciser tout de suite que tout médicament trouvé dans la pharmacie est classé dans un groupe. Il y a des groupes de médicaments qu’on peut vendre sans ordonnance et d’autres avec la présentation de celle-ci. Le plus souvent, les médicaments exposés à la vue du patient sont les médicaments qu’on peut obtenir sans ordonnance. Ceux pour qui, on exige la prescription médicale, sont souvent dans les tiroirs.
En cas de complication liée à l’automédication, est-ce que le pharmacien peut être tenu pour responsable ?
Dans certaines situations, oui. S’il s’agit d’un médicament qu’on peut donner sur prescription médicale, la responsabilité du pharmacien est engagée. Il y a certains symptômes que le pharmacien peut prendre en charge. Mais, il doit faire un interrogatoire. Parfois, il est tenu juste de soulager le patient et après l’orienter vers l’hôpital. Par exemple, dans le cadre d’un banal rhume, le pharmacien peut recommander des médicaments dans certains cas. Le pharmacien ne prend pas en charge la maladie, c’est juste des symptômes pour soulager, le temps de voir un médecin. Dans le monde, on est en train d’évoluer et d’avancer dans la responsabilisation du pharmacien, mais dans un cadre organisé et réglementé, en collaboration avec les médecins. En Europe, il y a des maladies que le pharmacien peut prendre en charge, mais en étroite collaboration avec le médecin. ,
Propos recueillis par Babacar G. DIOP
Source : https://lesoleil.sn/prise-en-charge-medicale-quand...