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QUAND LA FRANÇAFRIQUE SE RETOURNE CONTRE SES HÉRITIERS

Rédigé par leral.net le Dimanche 21 Septembre 2025 à 01:41 | | 0 commentaire(s)|

Karim Wade, Tidjane Thiam, Anicet-Georges Dologuélé... de plus en plus de candidats africains sont contraints de renoncer à leur nationalité française. Une évolution qui révèle la mutation des relations franco-africaines

(SenePlus) - La double nationalité, autrefois perçue comme un atout, devient un obstacle majeur pour les candidats politiques africains. Le cas de Karim Wade au Sénégal illustre cette tendance continentale.

La scène politique africaine connaît une mutation profonde : posséder un passeport français, jadis synonyme de prestige et d'ouverture internationale, se transforme progressivement en boulet électoral. Cette évolution, particulièrement marquée lors des dernières élections présidentielles, trouve au Sénégal l'un de ses exemples les plus frappants avec l'exclusion de Karim Wade.

Le fils de l'ancien président Abdoulaye Wade illustre parfaitement cette nouvelle donne. Karim Wade "a renoncé à la nationalité française afin de se mettre en conformité avec la Loi fondamentale et pouvoir se présenter à l'élection présidentielle de son pays en février 2024. En vain.

Malgré cette démarche drastique, "sa candidature a été invalidée en raison d'une renonciation jugée trop tardive. La Cour suprême l'a définitivement exclu du scrutin", précise le journaliste. Un camouflet d'autant plus ironique que "son père a pourtant gouverné le Sénégal de 2000 à 2012 en conservant la nationalité française, selon les confidences de son successeur, Macky Sall", rapportées par Pascal Airault dans son enquête pour L'Opinion.

Cette évolution constitutionnelle s'inscrit dans une tendance plus large touchant l'ensemble du continent africain, où les constitutions se durcissent contre la double nationalité.

L'affaire Wade révèle l'émergence d'une nouvelle arme politique : l'instrumentalisation juridique de la nationalité. "Leurs adversaires ou les pouvoirs en place n'hésitent pas à déposer ou faire déposer des recours devant la justice pour les éliminer du jeu politique", explique un expert cité par Pascal Airault.

Cette tactique ne se limite pas au Sénégal. En Centrafrique, Anicet-Georges Dologuélé vient de renoncer "avec beaucoup de peine" à sa nationalité française pour lever un obstacle à sa candidature présidentielle. Pourtant, "des militants associatifs favorables au pouvoir en place" contestent déjà cette renonciation, estimant qu'elle arrive "trop tard".

La Côte d'Ivoire offre un autre cas d'école avec Tidjane Thiam, ancien patron du Crédit Suisse et président du PDCI. Malgré sa renonciation officielle à la nationalité française le 20 mars 2025, "un tribunal l'a radié de la liste électorale en avril, estimant qu'il détenait encore la nationalité française au moment de son inscription initiale". L'ancien banquier "dénonce une machination politique".

Paradoxalement, son concurrent Jean-Louis Billon, également du PDCI, a pu maintenir sa candidature après avoir obtenu "un décret signé le 7 mars par François Bayrou" actant son renoncement à la nationalité française.

En République démocratique du Congo, "le gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, s'était retrouvé au cœur d'une polémique identique, avant la présidentielle de 2018, pour avoir détenu la nationalité italienne de 2000 à 2017".

L'acquisition de la nationalité française par ces dirigeants africains trouve ses origines dans l'histoire coloniale et post-coloniale. Abdoulaye Wade "l'a acquise automatiquement alors que le Sénégal n'était pas encore indépendant". Pour d'autres, comme Tidjane Thiam, cette nationalité a été "accordée en raison de son excellence académique (major à l'École des mines après avoir été diplômé de Polytechnique)" en 1987.

Cette évolution reflète un changement profond des mentalités africaines face à la France. "Avant, cela pouvait être un atout d'avoir la nationalité française, aujourd'hui c'est clairement un handicap", confie un expert à Pascal Airault. "Même dans les pays où la binationalité est autorisée, les candidats détenant un passeport français sont perçus comme des agents d'influence. Ils y perdent des voix et parfois le droit de concourir."

Pourtant, de nombreux pays francophones maintiennent encore cette possibilité. "C'est le cas du Maroc, de Madagascar, de Maurice, du Congo, du Niger, du Burkina Faso, du Bénin ou encore de la Guinée", précise l'enquête.

Cette méfiance croissante envers la double nationalité française s'inscrit dans le contexte plus large d'une remise en question des relations traditionnelles entre Paris et ses anciennes colonies. Le passeport français, symbole historique de l'influence française en Afrique, devient progressivement un stigmate politique.

L'exemple sénégalais, avec l'exclusion de Karim Wade malgré sa renonciation, démontre que cette évolution dépasse le simple cadre juridique pour toucher aux questions de souveraineté et de légitimité politique. Dans un continent africain en quête d'émancipation géopolitique, posséder un passeport de l'ancienne puissance coloniale apparaît de plus en plus comme un handicap insurmontable pour briguer les plus hautes fonctions.

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Farid


Source : https://www.seneplus.com/politique/quand-la-franca...