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"Quand les boursiers gabonais deviennent otages du crime patrimonicide" Dia Alihanga

Rédigé par leral.net le Dimanche 21 Septembre 2025 à 10:37 | | 0 commentaire(s)|

Paris, 19 septembre 2025.
Ils étaient une trentaine ce matin-là, devant l'ambassade du Gabon en France. Précisément 33 étudiants, parmi les plus de 1 500 boursiers gabonais inscrits en France (source : Campus France, 2024). Comme eux, plus de 4 000 compatriotes à l'étranger — Maroc (1 500), Sénégal (800), Russie (240), Cuba (30), Belgique (moins de 10) — connaissent depuis trois mois une même angoisse : des retards dans le versement de leur bourse d'études en ce début d'année scolaire et (...)

- LIBRE PROPOS /

Paris, 19 septembre 2025.
Ils étaient une trentaine ce matin-là, devant l'ambassade du Gabon en France. Précisément 33 étudiants, parmi les plus de 1 500 boursiers gabonais inscrits en France (source : Campus France, 2024). Comme eux, plus de 4 000 compatriotes à l'étranger — Maroc (1 500), Sénégal (800), Russie (240), Cuba (30), Belgique (moins de 10) — connaissent depuis trois mois une même angoisse : des retards dans le versement de leur bourse d'études en ce début d'année scolaire et les difficultés qui en découlent.

Le témoignage de Gédéon

Parmi eux, Gédéon, étudiant en master, a accepté de raconter la journée. Les étudiants s'étaient réunis devant l'ambassade pour réclamer leurs droits. Rapidement, un personnel de l'ambassade est intervenu, rappelant que la manifestation n'avait pas été déclarée. Après discussions, la delegation forte de ces 33 étudiants ont été reçus par la chargée d'affaires, intérimaire de l'ambassadeur et plus tard, par Madame Ngari, intérimaire privilégiée entre l'ANBG (Agence Nationale des Bourses du Gabon) et les étudiants.

« Nous avons exposé nos difficultés : nous avons tenu près de deux mois sans bourse, ce qui signifie pour beaucoup l'impossibilité de payer les loyers, les titres de transport ou encore la nourriture. Certains camarades ont été menacés d'expulsion, d'autres dorment sous des abris de fortune », explique Gédéon.

Quand l'État délaisse sa jeunesse

Les chiffres confirment la gravité du problème.
En 2022 déjà, la Cour des comptes du Gabon dénonçait dans son rapport annuel un « déficit chronique de planification » et des « engagements budgétaires non tenus » dans le financement des bourses universitaires.

Le Gabon consacre, officiellement, plus de 30 milliards de FCFA par an au financement des bourses des étudiants à l'étranger (soit environ 45 millions d'euros), mais les interruptions de versements sont récurrentes.

Ce paradoxe nourrit une profonde colère : « Comment expliquer que dans un pays qui a engrangé en 2022 plus de 3 200 milliards de FCFA de recettes pétrolières (près de 5 milliards d'euros), des jeunes soient contraints de mendier ce qui leur est dû ? » interroge Gédéon.

Le spectre du crime patrimonicide

Cette situation résonne avec les analyses de Grégory Ngbwa Mintsa, figure majeure de la lutte contre la corruption au Gabon, lauréat en 2009 du Prix de l'intégrité de Transparency International et Sherpa. Mintsa dénonçait ce qu'il appelait le « crime patrimonicide », c'est-à-dire l'acte par lequel des élites accaparent les biens communs, compromettant ainsi l'avenir de la nation tout entière.

En privant les étudiants de leurs bourses, l'État gabonais commet précisément ce crime : il détourne ou dilapide des ressources censées préparer l'avenir, et hypothèque ainsi la formation de ses cadres de demain. « Nous savons que l'argent des bourses est parfois redirigé pour financer des campagnes électorales, ou disparaît dans des circuits opaques, sur des comptes en Suisse », souffle Gédéon, faisant ainsi écho aux accusations que Grégory Ngbwa Mintsa formulait déjà il y a vingt ans.

Une jeunesse sacrifiée

Les consequences en sont dramatiques.

Selon l'UNESCO, un étudiant étranger en France a besoin en moyenne de 800 à 1 000 euros par mois pour vivre (logement, transport, nourriture). Or, la bourse gabonaise plafonne autour de 649 euros mensuels, souvent versés avec retard. Plusieurs cas tragiques sont rapportés : expulsions de logements, dépressions, voire décès liés à la précarité.

« Aux dires de certains, il y a quelques années, un étudiant gabonais est mort de froid, faute de chauffage, à cause de ces retards de bourse », raconte Gédéon, visiblement marqué.

La nécessité d'un sursaut

La réunion du 19 septembre s'est conclue sur une promesse : les bourses d'août et septembre devraient être versées prochainement. Mais aucune garantie n'a été donnée pour l'avenir. Seule certitude : un dialogue plus régulier entre Campus France, l'UGB (Union des Gabonais de l'Étranger) et les étudiants devrait être instauré.

Pour Gédéon et ses camarades, l'urgence est pourtant ailleurs : mettre fin à l'impunité qui perpétue ce crime patrimonicide. Car tant que les deniers publics continueront de disparaître dans les circuits opaques de la corruption, la jeunesse gabonaise restera sacrifiée.

*Gédéon est un nom fictif pour respecter l'anonymat de la source interrogée.
Références
Campus France, statistiques 2024
- Cour des comptes du Gabon, Rapport 2022
- Banque mondiale, données macroéconomiques Gabon 2023
- UNESCO, coûts de la vie étudiante en Europe, 2023
- Transparency International/Sherpa, Prix de l'intégrité 2009

Dia ALIHANGA,
Co auteur de L'Indigné. Biographie de Grégory Ngbwa Mintsa, Éditions Saint-Honoré, 2016



Source : https://www.gabonews.com/fr/actus/libre-propos/art...