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RENÉGOCIER LES CONTRATS RELÈVE DU PARCOURS DU COMBATTANT

Rédigé par leral.net le Dimanche 5 Octobre 2025 à 01:44 | | 0 commentaire(s)|

ielya Yaya Wane révèle comment les contrats d'investissement, conçus pour sécuriser les capitaux étrangers, privent paradoxalement les gouvernements de leur capacité à faire évoluer la réglementation, même dans l'intérêt de leurs populations

Dans l'émission "Grand Témoin" animée par Chérif Diop sur la plateforme EvenProd, la professeure Dielya Yaya Wane, maître de conférence agrégée et enseignante-chercheur à l'université Assane Seck de Ziguinchor, a livré une analyse approfondie du climat des affaires au Sénégal. Ancienne directrice du laboratoire d'étude stratégique de défense, paix et sécurité et consultante pour l'OMC et l'OMS, cette spécialiste du droit économique a éclairé les enjeux cruciaux de l'investissement dans un contexte de transition politique.

Le nouvel exécutif a clairement affiché sa volonté de renégocier certains contrats d'investissement pour mieux défendre les intérêts nationaux. Mais cette ambition se heurte à une réalité juridique complexe. "Les contrats d'investissement sont des instruments bétonnés", explique la professeure Wane, soulignant l'existence de clauses de stabilisation, d'intangibilité et de "clauses parapluies" qui engagent l'État à respecter toutes ses obligations contractuelles.

L'experte rappelle que le droit de l'investissement moderne trouve ses racines dans le premier traité bilatéral signé en 1959 entre l'Allemagne et le Pakistan, conçu précisément pour protéger les investisseurs dans des territoires considérés à risque. Depuis, ce cadre juridique s'est renforcé, notamment avec la résolution 1803 de l'ONU en 1962 consacrant la souveraineté permanente des États sur leurs ressources naturelles.

L'un des aspects les plus préoccupants révélés lors de cet entretien concerne l'arbitrage d'investissement. Contrairement aux litiges internationaux classiques opposant États à États, l'arbitrage d'investissement permet à un investisseur privé d'attaquer directement un État devant des tribunaux arbitraux. "C'est le seul cas en droit international où on retrouve cette configuration", précise Dielya Yaya Wane.

Les statistiques sont éloquentes : dans deux tiers des cas, les investisseurs obtiennent gain de cause. Les condamnations peuvent être astronomiques, comme l'illustre le cas de l'Équateur en 2004, condamné à verser l'équivalent de 7% de son budget national – soit l'équivalent de ses dépenses annuelles en santé – à un investisseur américain.

Le Sénégal n'échappe pas à cette réalité. La procédure d'arbitrage initiée par Woodside auprès du Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) inquiète. Interrogée sur les chances du Sénégal dans ce dossier, la professeure se montre peu optimiste : "Les chances sont infimes", affirme-t-elle, expliquant que les tribunaux arbitraux privilégient systématiquement le respect des engagements contractuels initiaux.

Un nouveau code des investissements porteur d'espoir

Face à ces défis, le Sénégal a adopté en septembre 2025 un nouveau code des investissements, le premier depuis 2004. Ce texte, fruit d'une concertation inclusive selon l'APIX (Agence nationale chargée de la promotion de l'investissement et des grands travaux), introduit plusieurs innovations majeures.

Parmi les avancées notables : la digitalisation complète des procédures via un guichet unique, un régime fiscal incitatif pour les projets durables et stratégiques, l'abaissement des seuils d'investissement pour faciliter l'accès des PME, et surtout, un renforcement du rôle de l'APIX dans le suivi post-investissement et la prévention des litiges.

"Ce code réalise un saut qualitatif", estime la professeure Wane, soulignant l'accent mis sur l'investissement responsable, le respect du contenu local et le transfert de technologie. L'objectif affiché est d'éviter les erreurs du passé, notamment le manque de suivi de l'application du code de 2004.

L'un des concepts les plus troublants évoqués lors de l'entretien est celui du "chilling effect" ou gel réglementaire. De plus en plus d'États, ayant fait l'objet de condamnations arbitrales, n'osent plus prendre des mesures pourtant salutaires en matière de protection environnementale ou sociale, par crainte de nouvelles poursuites.

Le Mexique en est l'illustration parfaite : condamné dans les affaires Techmed et Metalclad pour avoir refusé un permis d'exploitation et fermé un site d'élimination de déchets dangereux – des mesures pourtant justifiées au plan environnemental – le pays a retenu la leçon. "Cela signifie que les États n'auront plus l'audace de prendre des mesures allant dans le sens de protéger leur environnement ou leur population", déplore l'experte.

Les relations avec le FMI : un dossier au point mort

Concernant les lenteurs dans les négociations avec le Fonds Monétaire International depuis septembre 2024, la professeure Wane se montre compréhensive envers l'institution de Bretton Woods. "Le climat de suspicion est tel que cette institution n'avance qu'à pas comptés", observe-t-elle, pointant les débats sur l'existence d'une dette cachée qui ont jeté le doute sur l'intégrité des institutions financières sénégalaises.

L'impact est tangible : l'abaissement de la note du Sénégal complique désormais l'accès aux marchés internationaux. Le pays compense par des appels publics à l'épargne trimestriels, mais cette stratégie ne saurait suffire à long terme.

Dans un environnement africain de plus en plus compétitif, notamment face à la Côte d'Ivoire, au Rwanda ou au Maroc, le Sénégal peut néanmoins s'appuyer sur plusieurs atouts structurels. La stabilité politique reste un acquis majeur, tout comme la modernisation progressive du cadre juridique à travers l'OHADA (Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) et son réseau d'actes uniformes.

L'appartenance à l'UEMOA et à la CEDEAO offre également l'accès à un marché unifié avec une politique commerciale et douanière commune, un argument de poids pour les investisseurs. Sans oublier les ressources naturelles dont dispose le pays, même si leur exploitation suscite parfois des tensions environnementales et sociales.

Cependant, des freins persistent : instabilité réglementaire perçue, lourdeurs administratives, et surtout, cette volonté affichée de renégocier les contrats qui, aussi légitime soit-elle, peut effrayer les investisseurs potentiels.

L'OHADA : une alternative crédible à l'arbitrage international ?

Face à la domination du CIRDI dans le règlement des différends d'investissement, l'OHADA tente de proposer une alternative régionale à travers la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (CCJA) basée à Abidjan. Créée en 1993 pour moderniser et harmoniser les cadres juridiques des affaires dans les anciennes colonies françaises, cette organisation pourrait permettre aux États africains de mieux défendre leurs intérêts.

"Il ne faudrait pas que toutes les affaires d'arbitrage d'investissement se retrouvent devant le CIRDI", insiste la professeure, plaidant pour un renforcement des capacités de la CCJA.

En conclusion de cet entretien fleuve, Dielya Yaya Wane propose trois axes de réforme prioritaires. D'abord, repenser les mécanismes de règlement des différends pour éviter le gel réglementaire qui empêche les États d'exercer pleinement leur souveraineté. Ensuite, mettre pleinement en œuvre le nouveau code des investissements avec ses dispositions novatrices sur l'investissement responsable et le contenu local. Enfin, renforcer le rôle de l'APIX dans le suivi et la prévention des litiges pour éviter le recours systématique à l'arbitrage international.

Un message clair émerge de cette analyse : la volonté de défendre les intérêts nationaux est légitime, mais elle doit s'inscrire dans une stratégie juridique cohérente et réaliste. Entre souveraineté économique et attractivité pour les investisseurs, le Sénégal doit trouver un équilibre délicat, dans un contexte où les règles du jeu international favorisent structurellement les intérêts privés au détriment des politiques publiques.

Le forum "Invest in Senegal" prévu les 7 et 8 octobre sera l'occasion de voir comment ces enjeux se traduiront concrètement dans la stratégie d'attractivité du pays.

Video URL: 
https://www.youtube.com/watch?v=Zj2HZfUXKEE
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Farid


Source : https://www.seneplus.com/economie/renegocier-les-c...