Ngathie Fall est un hameau qui se trouve à quelques encablures de Ndiago, petite commune du département de Guinguinéo dans la région de Kaolack. Chaque année, pour célébrer le Magal éponyme, des centaines de fidèles empruntent une longue route latéritique ceinte par une végétation herbeuse couronnée de quelques arbres « rabougris » où paissent vaches, chèvres et ânes.
Au beau milieu de ce « bled », est dressée une tente imposante reposant, en partie, sur un pan de mur orné de deux portraits physiques du père de Serigne Massamba, Serigne Modou Moustapha Fall (fils de Cheikh Ibra Fall) et de son demi-frère, Cheikh Fall « Bayub Goorgni ».
Ngathie Fall est devenu, au fil des âges, le produit d’une alliance intelligente entre la chefferie traditionnelle et le pouvoir religieux. Fondé par une famille Ndiaye originaire du Baol, ce village enclavé de la commune de Ndiago dans le département de Guinguinéo est mis en lumière par une figure religieuse, un petit-fils de Cheikh Ibra Fall, Serigne Massamba Fall « Borom Ngathie ». Il y organise, avec ses disciples Baye Fall, le Magal annuel de Ngathie Fall devenu, aujourd’hui, un univers de célébration de la philosophie Baye Fall, du merveilleux et de « l’inhabituel ».
Un homme de taille courante, entouré d’une cohorte révérencieuse et admirative, s’avance en procession solennelle vers des fidèles dans un état de grande exaltation. La majestueuse tenue blanche du guide spirituel, Serigne Massamba Fall, petit-fils de Cheikh Ibra Fall, est en harmonie avec ses cheveux contrastant avec la noirceur de sa peau. La fureur des tam-tams se joint à la valse des rayons du soleil pour exciter davantage les bandes dévotes aux dreadlocks interminables dont la chorégraphie (Doukat) est un temps de délectation, de transe et d’accomplissement d’un rituel mystique.
On est à Ngathie Fall, espace de sublimation où se déploie la spiritualité Baye Fall. Ici, univers de frénésie, de syncrétisme religieux et philosophique, les âmes s’affranchissent du conformisme du « dehors » sans en faire des centurions de la transgression. Sur une des nombreuses et pittoresques clôtures en paille des modestes habitations voisinant avec des jujubiers « se perche » cette note : « Interdit de fumer ».
Instant d’exaltation
Ngathie Fall 2Ngathie Fall est un hameau qui se trouve à quelques encablures de Ndiago, petite commune du département de Guinguinéo dans la région de Kaolack. Chaque année, pour célébrer le Magal éponyme, des centaines de fidèles empruntent une longue route latéritique ceinte par une végétation herbeuse couronnée de quelques arbres « rabougris » où paissent vaches, chèvres et ânes.Au beau milieu de ce « bled », est dressée une tente imposante reposant, en partie, sur un pan de mur orné de deux portraits physiques du père de Serigne Massamba, Serigne Modou Moustapha Fall (fils de Cheikh Ibra Fall) et de son demi-frère, Cheikh Fall « Bayub Goorgni ».
Cette commémoration religieuse est un éloge à l’œuvre de ce dernier. « Serigne Cheikh Fall a été pour moi plus qu’un frère. Il a assuré mon éducation spirituelle et religieuse. C’est pourquoi, depuis 1982, j’organise ce Magal pour partager avec les fidèles les valeurs qu’il a promues durant toute son existence terrestre, celles du Mouridisme. Je m’emploie quotidiennement à rester dans ce sillon. Je suis un cultivateur et aucune graine, après la récolte, ne reste dans mon grenier. Tout est destiné au Khalife général des Mourides. Car, nous devons perpétuer la relation mystique qu’il y avait entre Cheikh Ibra Fall et Cheikh Ahmadou Bamba », dit Serigne Massamba Fall « Borom Ngathie » qui a appris le Coran auprès de Serigne Assane Dieng et à Keur Gou Mak à Diourbel. Il a également fait ses humanités à Sam Fall et à Touba Fall.
Ce Magal est le temps d’une communion entre le guide et ses disciples d’une ardeur exubérante. On s’inflige les coups de gourdin dans le dos dans un instant d’exaltation extrême. On baise les mains de l’autorité spirituelle, s’incline, lui chuchote des mots à l’oreille pour guérir d’un mal, se préserver de l’avenir. Les espérances sont à la mesure des effusions. Les plus généreux le gratifient, fiers, d’une dîme. D’autres la remettent à une femme portant un cabas à la main et lambinant entre des groupes épars d’individus de tous les âges. Certains sont incapables de lucidité. Ceux qui y accèdent encore prononcent des panégyriques ou récitent le Coran sous des guitounes dressées à l’occasion.
Des dames, conversant joyeusement, s’affairent au petit commerce de perles et d’encens au moment où d’autres sont occupées à faire la cuisine. L’une d’elles, venue de la Gambie, pense ceci de ce Magal et de celui qui en est l’initiateur : « Ngathie Fall est un tout petit village sans infrastructure. Mais, partout où notre guide, Serigne Massamba Fall, ira s’installer, nous nous efforcerons de vivre avec lui ces moments de ferveur religieuse qui nous éloigne de toutes les insignifiances de ce monde ». Pape Sylla, un de ses disciples, en dit un peu plus : « Serigne Massamba Fall n’aime pas la ville et tout ce qui est mondanité. C’est un homme de Dieu qui éduque ses disciples à la citoyenneté et chérit les vertus du travail loin de cette perception fausse et négative du Baye Fall. Celui-ci est un producteur de richesses. Il faut être animé d’une grande conviction pour investir ce milieu austère où l’eau et l’électricité n’y sont disponibles que depuis quelques temps ».
A l’origine, Ngathie Ndiaye
C’est en 1980 que Serigne Massamba Fall est venu à Ngathie sur recommandation de son grand-frère et tuteur Serigne Cheikh Fall « Bayub Goorgni ». Il lui aurait donné quelques indications énigmatiques sur le lieu d’implantation. Le petit-fils du compagnon de Cheikh Ahmadou Bamba y trouve une famille Ndiaye, fondatrice du hameau en 1902. Modou Ndiaye Ngathie, originaire du Baol, s’y serait installé le premier. Il nomme la localité Ngathie Ndiaye devenu Ngathie Fall dans l’appellation courante du fait de la renommée du marabout Baye Fall. Modou Ndiaye s’est d’abord installé à Ndiago dont les habitants n’étaient pas encore convertis à l’Islam. Il décide alors de poursuivre son chemin et s’établit à deux kilomètres de Ndiago. Le fondateur nomme cette terre Ngathie en référence à une autre localité de Lambaye. Quand Serigne Massamba Fall est venu s’y installer, Modou Ndiaye Ngathie n’était plus de ce monde. C’est son fils, Dame Ndiaye, qui l’a accueilli.
« J’y ai été bien reçu par la descendance du fondateur de Ngathie. Il n’y avait presque rien ici. Je me suis mis à l’agriculture et j’ai développé une passion pour la chasse. Pour la première édition du Magal, en 1982, nous nous sommes contentés, une poignée de disciples, des neveux et moi, du Café Touba pour nous accompagner dans ces instants de grande dévotion. L’année suivante, une âme généreuse du nom de Pape Diouf Mané nous a gratifiés d’une chèvre », se souvient-il, la voix étreinte par l’émotion. Aujourd’hui, Ngathie Fall, hameau jadis anonyme, est entré dans le langage courant de certaines populations dakaroises avec le jurement « Barké Serigne Ngathie ».
Ngathie Fall est le résultat d’un compromis tacite entre la chefferie incarnée par la famille Ndiaye et l’autorité religieuse, de plus en plus grandissante, qui lui assure l’équilibre et le met à l’abri des litiges fonciers. Cela est également facilité par l’appartenance des deux descendances à la confrérie mouride et au Baol. La demande croissante de parcelles de terrain est le fait de disciples Baye Fall venus d’horizons divers. La communauté Baye Fall est devenue, par son ardeur et son organisation, une « minorité conquérante ». La ferveur religieuse et la construction d’un discours mystique autour de l’autorité spirituelle ont sorti Ngathie Fall de l’anonymat et fini de placer ce hameau sans grand relief sur la carte de Guinguinéo.
PAPE SYLLA, DISCIPLE DE SERIGNE MASSAMBA FALL : AME INSOUMISE
Pape SyllaNi dreadlocks sur la tête. Ni gourdin. Encore moins de Patchwork. Pape Sylla est un Baye Fall qui passe presque inaperçu. Mais, il suffit qu’il parle pour que transparaisse, dans ses propos, une certaine mysticité enveloppée dans une connaissance approfondie de la philosophie Baye Fall. Il a adopté celle-ci depuis sa jeunesse au détour d’une longue quête qui a fait de lui, pendant longtemps, une âme rebelle.
Pape Sylla est de ces individus dont la trajectoire est à la fois poignante et plaisante. Il aborde son récit de vie avec une légèreté fascinante sans s’abstenir de clamer ses convictions profondes de Baye Fall et d’Africain. Il est de ces hommes qui sont dans une perpétuelle quête de ce qui fait sens à leurs yeux. Il a fini par trouver son allée de sérénité intérieure et de béatitude dans la voie Baye Fall en se libérant d’un carcan académique qui lui promettait, selon le conformisme social,un avenir confortable. Le bonhomme, d’un abord facile et d’une densité saillante, est un disciple de Serigne Massamba Fall depuis 1987. « La rencontre mystique », pour reprendre son jargon ésotérique, s’est faite après une longue « divagation » intérieure.
Pape Sylla, né 1957, à Louga, a grandi à Rufisque où son père, enseignant de formation au moment des indépendances et plus tard directeur de la Formation des cadres et du Centre national de formation et d’actions, était en service. Il y a vécu l’essentiel de son enfance. Après avoir réussi son entrée en sixième à Rufisque, il est sélectionné pour aller poursuivre ses études à l’Ecole normale supérieure, à l’époque, un lycée d’application. Ici, le jeune garçon commet son « premier délit d’insoumission » à certaines règles tacites qu’il jugeait anormales dans cet établissement d’excellence. « Après la classe de 5ème, j’ai voulu quitter.
C’est moi-même qui ai créé les conditions de ma sortie parce que j’ai pris conscience de certaines réalités qui rendaient difficile mon épanouissement. Je faisais Lettres classiques dans ce lycée français. Il y avait un distinguo entre ceux qui faisaient Lettres modernes et Lettres classiques. Dans cette dernière classe, il n’y avait pratiquement que des Français contre un seul en moderne. Les conditions d’enseignement n’étaient pas les mêmes ». Première rébellion.
Rien à apprendre en France !
Pape Sylla décide alors de poursuivre ses études au Lycée Blaise Diagne. Il y reste jusqu’en classe de Première, année où les vieux démons le rattrapent. Il se sent à l’étroit. Le système éducatif ne l’enchante point. « C’était un jeu ! On nous racontait des histoires ! Et j’ai décidé d’arrêter tout ça, d’aller voir ailleurs ». Deuxième révolte.
Le père, surpris par cette décision, se donne la peine de connaître les ambitions que nourrit le rejeton. Celui-ci veut aller en France pour découvrir un autre univers d’apprentissage.Tenace, il arrive à poursuivre ses études à l’Ecole supérieure de journalisme de Paris, en 1981. En deuxième année, il claque la porte. Tout simplement. « Je me suis dit que je n’ai rien à apprendre ici ».
En France, cet esprit rebelle découvre les poèmes de Serigne Moussa Kâ et s’abreuve aux théories de Cheikh Anta Diop. Paf ! Le retour au pays est inéluctable ! « J’ai ressenti la nécessité de retourner au Sénégal pour retrouver ce que je jugeais avoir perdu. C’est ce que j’ai fait, en 1983. Mon père pensait que j’étais venu passer mes vacances au Sénégal. Pour lancer une boutade aux gens, je leur disais que je suis revenu faire mon second cycle ». Le cycle spirituel sans doute ! énième désertion de ce rebelle indomptable.
Dès son retour, il se rend à Diourbel pour faire vœu d’allégeance au petit-fils de Cheikh Ibra Fall, Cheikh Fall « Bayub Goorgni ». Au décès de celui-ci, en 1984, il renouvelle cet acte à son fils aîné, Serigne Moustapha Fall, qui quitte également ce monde un an plus tard. Il s’ensuit deux ans de méditations jusqu’à cette nuit qui fonde le compagnonnage avec son guide, Serigne Massamba Fall « Borom Ngathie ». Il en dit ceci : « Serigne Massamba m’a été montré la nuit vers cinq heures du matin dans quelque chose que je ne peux pas appeler un rêve. Quand je l’ai vu, j’ai couru et lui ai donné ma main qu’il a soulevée. Il a posé ses mains sur mes épaules en marchant, avec moi, gaiement. Nous sommes arrivés à un lieu où il y avait un cercle dans lequel étaient assis mon père et mon grand-père. Au réveil, j’étais convaincu que c’est l’allée que je devais emprunter ».
La rencontre se fait, en 1987, à Rufisque, où le marabout avait beaucoup de disciples. Et depuis, le guide et le talibé suivent le même cheminement mystique.« Avec les responsabilités familiales et professionnelles, je me suis assagi », confie-t-il, heureux de voir son fils aîné, faire allégeance, à son insu, à Serigne Massamba Fall, son homonyme. Le rebelle assagi, amoureux de la nature, partage aujourd’hui son temps entre l’agriculture, le commerce, l’élevage…et Ngathie Fall même s’il vit à Dakar.
Alassane Aliou MBAYE et Oumar BA (LeSoleil)
Au beau milieu de ce « bled », est dressée une tente imposante reposant, en partie, sur un pan de mur orné de deux portraits physiques du père de Serigne Massamba, Serigne Modou Moustapha Fall (fils de Cheikh Ibra Fall) et de son demi-frère, Cheikh Fall « Bayub Goorgni ».
Ngathie Fall est devenu, au fil des âges, le produit d’une alliance intelligente entre la chefferie traditionnelle et le pouvoir religieux. Fondé par une famille Ndiaye originaire du Baol, ce village enclavé de la commune de Ndiago dans le département de Guinguinéo est mis en lumière par une figure religieuse, un petit-fils de Cheikh Ibra Fall, Serigne Massamba Fall « Borom Ngathie ». Il y organise, avec ses disciples Baye Fall, le Magal annuel de Ngathie Fall devenu, aujourd’hui, un univers de célébration de la philosophie Baye Fall, du merveilleux et de « l’inhabituel ».
Un homme de taille courante, entouré d’une cohorte révérencieuse et admirative, s’avance en procession solennelle vers des fidèles dans un état de grande exaltation. La majestueuse tenue blanche du guide spirituel, Serigne Massamba Fall, petit-fils de Cheikh Ibra Fall, est en harmonie avec ses cheveux contrastant avec la noirceur de sa peau. La fureur des tam-tams se joint à la valse des rayons du soleil pour exciter davantage les bandes dévotes aux dreadlocks interminables dont la chorégraphie (Doukat) est un temps de délectation, de transe et d’accomplissement d’un rituel mystique.
On est à Ngathie Fall, espace de sublimation où se déploie la spiritualité Baye Fall. Ici, univers de frénésie, de syncrétisme religieux et philosophique, les âmes s’affranchissent du conformisme du « dehors » sans en faire des centurions de la transgression. Sur une des nombreuses et pittoresques clôtures en paille des modestes habitations voisinant avec des jujubiers « se perche » cette note : « Interdit de fumer ».
Instant d’exaltation
Ngathie Fall 2Ngathie Fall est un hameau qui se trouve à quelques encablures de Ndiago, petite commune du département de Guinguinéo dans la région de Kaolack. Chaque année, pour célébrer le Magal éponyme, des centaines de fidèles empruntent une longue route latéritique ceinte par une végétation herbeuse couronnée de quelques arbres « rabougris » où paissent vaches, chèvres et ânes.Au beau milieu de ce « bled », est dressée une tente imposante reposant, en partie, sur un pan de mur orné de deux portraits physiques du père de Serigne Massamba, Serigne Modou Moustapha Fall (fils de Cheikh Ibra Fall) et de son demi-frère, Cheikh Fall « Bayub Goorgni ».
Cette commémoration religieuse est un éloge à l’œuvre de ce dernier. « Serigne Cheikh Fall a été pour moi plus qu’un frère. Il a assuré mon éducation spirituelle et religieuse. C’est pourquoi, depuis 1982, j’organise ce Magal pour partager avec les fidèles les valeurs qu’il a promues durant toute son existence terrestre, celles du Mouridisme. Je m’emploie quotidiennement à rester dans ce sillon. Je suis un cultivateur et aucune graine, après la récolte, ne reste dans mon grenier. Tout est destiné au Khalife général des Mourides. Car, nous devons perpétuer la relation mystique qu’il y avait entre Cheikh Ibra Fall et Cheikh Ahmadou Bamba », dit Serigne Massamba Fall « Borom Ngathie » qui a appris le Coran auprès de Serigne Assane Dieng et à Keur Gou Mak à Diourbel. Il a également fait ses humanités à Sam Fall et à Touba Fall.
Ce Magal est le temps d’une communion entre le guide et ses disciples d’une ardeur exubérante. On s’inflige les coups de gourdin dans le dos dans un instant d’exaltation extrême. On baise les mains de l’autorité spirituelle, s’incline, lui chuchote des mots à l’oreille pour guérir d’un mal, se préserver de l’avenir. Les espérances sont à la mesure des effusions. Les plus généreux le gratifient, fiers, d’une dîme. D’autres la remettent à une femme portant un cabas à la main et lambinant entre des groupes épars d’individus de tous les âges. Certains sont incapables de lucidité. Ceux qui y accèdent encore prononcent des panégyriques ou récitent le Coran sous des guitounes dressées à l’occasion.
Des dames, conversant joyeusement, s’affairent au petit commerce de perles et d’encens au moment où d’autres sont occupées à faire la cuisine. L’une d’elles, venue de la Gambie, pense ceci de ce Magal et de celui qui en est l’initiateur : « Ngathie Fall est un tout petit village sans infrastructure. Mais, partout où notre guide, Serigne Massamba Fall, ira s’installer, nous nous efforcerons de vivre avec lui ces moments de ferveur religieuse qui nous éloigne de toutes les insignifiances de ce monde ». Pape Sylla, un de ses disciples, en dit un peu plus : « Serigne Massamba Fall n’aime pas la ville et tout ce qui est mondanité. C’est un homme de Dieu qui éduque ses disciples à la citoyenneté et chérit les vertus du travail loin de cette perception fausse et négative du Baye Fall. Celui-ci est un producteur de richesses. Il faut être animé d’une grande conviction pour investir ce milieu austère où l’eau et l’électricité n’y sont disponibles que depuis quelques temps ».
A l’origine, Ngathie Ndiaye
C’est en 1980 que Serigne Massamba Fall est venu à Ngathie sur recommandation de son grand-frère et tuteur Serigne Cheikh Fall « Bayub Goorgni ». Il lui aurait donné quelques indications énigmatiques sur le lieu d’implantation. Le petit-fils du compagnon de Cheikh Ahmadou Bamba y trouve une famille Ndiaye, fondatrice du hameau en 1902. Modou Ndiaye Ngathie, originaire du Baol, s’y serait installé le premier. Il nomme la localité Ngathie Ndiaye devenu Ngathie Fall dans l’appellation courante du fait de la renommée du marabout Baye Fall. Modou Ndiaye s’est d’abord installé à Ndiago dont les habitants n’étaient pas encore convertis à l’Islam. Il décide alors de poursuivre son chemin et s’établit à deux kilomètres de Ndiago. Le fondateur nomme cette terre Ngathie en référence à une autre localité de Lambaye. Quand Serigne Massamba Fall est venu s’y installer, Modou Ndiaye Ngathie n’était plus de ce monde. C’est son fils, Dame Ndiaye, qui l’a accueilli.
« J’y ai été bien reçu par la descendance du fondateur de Ngathie. Il n’y avait presque rien ici. Je me suis mis à l’agriculture et j’ai développé une passion pour la chasse. Pour la première édition du Magal, en 1982, nous nous sommes contentés, une poignée de disciples, des neveux et moi, du Café Touba pour nous accompagner dans ces instants de grande dévotion. L’année suivante, une âme généreuse du nom de Pape Diouf Mané nous a gratifiés d’une chèvre », se souvient-il, la voix étreinte par l’émotion. Aujourd’hui, Ngathie Fall, hameau jadis anonyme, est entré dans le langage courant de certaines populations dakaroises avec le jurement « Barké Serigne Ngathie ».
Ngathie Fall est le résultat d’un compromis tacite entre la chefferie incarnée par la famille Ndiaye et l’autorité religieuse, de plus en plus grandissante, qui lui assure l’équilibre et le met à l’abri des litiges fonciers. Cela est également facilité par l’appartenance des deux descendances à la confrérie mouride et au Baol. La demande croissante de parcelles de terrain est le fait de disciples Baye Fall venus d’horizons divers. La communauté Baye Fall est devenue, par son ardeur et son organisation, une « minorité conquérante ». La ferveur religieuse et la construction d’un discours mystique autour de l’autorité spirituelle ont sorti Ngathie Fall de l’anonymat et fini de placer ce hameau sans grand relief sur la carte de Guinguinéo.
PAPE SYLLA, DISCIPLE DE SERIGNE MASSAMBA FALL : AME INSOUMISE
Pape SyllaNi dreadlocks sur la tête. Ni gourdin. Encore moins de Patchwork. Pape Sylla est un Baye Fall qui passe presque inaperçu. Mais, il suffit qu’il parle pour que transparaisse, dans ses propos, une certaine mysticité enveloppée dans une connaissance approfondie de la philosophie Baye Fall. Il a adopté celle-ci depuis sa jeunesse au détour d’une longue quête qui a fait de lui, pendant longtemps, une âme rebelle.
Pape Sylla est de ces individus dont la trajectoire est à la fois poignante et plaisante. Il aborde son récit de vie avec une légèreté fascinante sans s’abstenir de clamer ses convictions profondes de Baye Fall et d’Africain. Il est de ces hommes qui sont dans une perpétuelle quête de ce qui fait sens à leurs yeux. Il a fini par trouver son allée de sérénité intérieure et de béatitude dans la voie Baye Fall en se libérant d’un carcan académique qui lui promettait, selon le conformisme social,un avenir confortable. Le bonhomme, d’un abord facile et d’une densité saillante, est un disciple de Serigne Massamba Fall depuis 1987. « La rencontre mystique », pour reprendre son jargon ésotérique, s’est faite après une longue « divagation » intérieure.
Pape Sylla, né 1957, à Louga, a grandi à Rufisque où son père, enseignant de formation au moment des indépendances et plus tard directeur de la Formation des cadres et du Centre national de formation et d’actions, était en service. Il y a vécu l’essentiel de son enfance. Après avoir réussi son entrée en sixième à Rufisque, il est sélectionné pour aller poursuivre ses études à l’Ecole normale supérieure, à l’époque, un lycée d’application. Ici, le jeune garçon commet son « premier délit d’insoumission » à certaines règles tacites qu’il jugeait anormales dans cet établissement d’excellence. « Après la classe de 5ème, j’ai voulu quitter.
C’est moi-même qui ai créé les conditions de ma sortie parce que j’ai pris conscience de certaines réalités qui rendaient difficile mon épanouissement. Je faisais Lettres classiques dans ce lycée français. Il y avait un distinguo entre ceux qui faisaient Lettres modernes et Lettres classiques. Dans cette dernière classe, il n’y avait pratiquement que des Français contre un seul en moderne. Les conditions d’enseignement n’étaient pas les mêmes ». Première rébellion.
Rien à apprendre en France !
Pape Sylla décide alors de poursuivre ses études au Lycée Blaise Diagne. Il y reste jusqu’en classe de Première, année où les vieux démons le rattrapent. Il se sent à l’étroit. Le système éducatif ne l’enchante point. « C’était un jeu ! On nous racontait des histoires ! Et j’ai décidé d’arrêter tout ça, d’aller voir ailleurs ». Deuxième révolte.
Le père, surpris par cette décision, se donne la peine de connaître les ambitions que nourrit le rejeton. Celui-ci veut aller en France pour découvrir un autre univers d’apprentissage.Tenace, il arrive à poursuivre ses études à l’Ecole supérieure de journalisme de Paris, en 1981. En deuxième année, il claque la porte. Tout simplement. « Je me suis dit que je n’ai rien à apprendre ici ».
En France, cet esprit rebelle découvre les poèmes de Serigne Moussa Kâ et s’abreuve aux théories de Cheikh Anta Diop. Paf ! Le retour au pays est inéluctable ! « J’ai ressenti la nécessité de retourner au Sénégal pour retrouver ce que je jugeais avoir perdu. C’est ce que j’ai fait, en 1983. Mon père pensait que j’étais venu passer mes vacances au Sénégal. Pour lancer une boutade aux gens, je leur disais que je suis revenu faire mon second cycle ». Le cycle spirituel sans doute ! énième désertion de ce rebelle indomptable.
Dès son retour, il se rend à Diourbel pour faire vœu d’allégeance au petit-fils de Cheikh Ibra Fall, Cheikh Fall « Bayub Goorgni ». Au décès de celui-ci, en 1984, il renouvelle cet acte à son fils aîné, Serigne Moustapha Fall, qui quitte également ce monde un an plus tard. Il s’ensuit deux ans de méditations jusqu’à cette nuit qui fonde le compagnonnage avec son guide, Serigne Massamba Fall « Borom Ngathie ». Il en dit ceci : « Serigne Massamba m’a été montré la nuit vers cinq heures du matin dans quelque chose que je ne peux pas appeler un rêve. Quand je l’ai vu, j’ai couru et lui ai donné ma main qu’il a soulevée. Il a posé ses mains sur mes épaules en marchant, avec moi, gaiement. Nous sommes arrivés à un lieu où il y avait un cercle dans lequel étaient assis mon père et mon grand-père. Au réveil, j’étais convaincu que c’est l’allée que je devais emprunter ».
La rencontre se fait, en 1987, à Rufisque, où le marabout avait beaucoup de disciples. Et depuis, le guide et le talibé suivent le même cheminement mystique.« Avec les responsabilités familiales et professionnelles, je me suis assagi », confie-t-il, heureux de voir son fils aîné, faire allégeance, à son insu, à Serigne Massamba Fall, son homonyme. Le rebelle assagi, amoureux de la nature, partage aujourd’hui son temps entre l’agriculture, le commerce, l’élevage…et Ngathie Fall même s’il vit à Dakar.
Alassane Aliou MBAYE et Oumar BA (LeSoleil)