Au Sénégal, les enfants sont de plus en plus touchés par l’obésité ou l’excès de poids qui polluent leur existence. Mais, ces mômes doivent en plus supporter le regard de la société. Une pathologie dans la pathologie.
Reportage de Babacar Guèye DIOP
Visage rondelet par des kilogrammes en plus, Ndèye Sow traine péniblement sa silhouette moulée dans un t-shirt noir et un pantalon bleu. Cheveux attachés en un chignon sur sa nuque, corps dégoulinant de sueur, respiration en constante essoufflement, la fille de 16 ans, qui habite à Apecsy 3, dans la commune de Yoff, est en surpoids depuis sa naissance. Pas lourd, marche délicate, elle a décidé de faire fi des clichés pour avoir sa part de la vie en société. « J’ai été tellement moquée dans mon quartier que j’ai été obligée de quitter l’école et mon quartier. Même chez moi, je subissais la discrimination. Je vis désormais chez ma tante », regrette cette adolescente qui confectionne des pagnes à l’aide de fils en coton. Dans son atelier de couture, sis sur la route de l’aéroport de Yoff, Ndèye se souvient des douleurs causées par les railleries de ses amies. Elle a dû sentir en soi un parfum de manque de confiance. « Je pensais que le sort s’acharnait sur moi. Je me disais : Pourquoi j’ai ce maudit corps », se rappelle-t-elle, voix chargée de trémolos.
Le surpoids et l’obésité se définissent comme une accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle qui peut nuire à la santé. Très répandue aujourd’hui chez les enfants, cette pathologie est en train de constituer un danger de santé publique, d’après les spécialistes.
Courbes de corps arrondies, mises en exergue par ses vêtements moulants, Ndèye Sow en veut à ses parents pour n’avoir pas cherché à réduire son poids. « Je respire difficilement et je suis obligée de boire de l’eau constamment parce que je suis fatiguée presque toute le temps », note-elle visiblement affectée par le traitement infligé par la société.
Figure bouffie, le regard dans le vague cachant ses poignets endurcis par la graisse, la mineure veut sa part de la vie en société. « Personne ne veut sortir avec moi, alors que je suis une fille qui m’occupe de moi-même. Des garçons me draguent juste pour vouloir coucher avec moi. Et si je refuse, on me rappelle mon excès de poids », déplore-t-elle, le ton mélodramatique.
« Maladie qui commence à prendre de l’ampleur »
Sa mère, Thiaba, gringalet, s’est réfugiée dans un fatalisme pour défendre le sort de sa fille. « C’est Dieu qui en a décidé ainsi. Elle est la seule personne obèse parmi mes enfants. Grâce à Allah, elle aura un jour un bon mari. Ceux qui se moquent d’elle n’ont qu’à le faire devant moi. Ils verront de quel bois je me chauffe », explique-t-elle, simpliste.
À l’Hôpital Albert Royer, la cour ne désemplit pas en mômes. Il est 10h, ce jeudi 20 juillet 2023, à l’image d’une crèche, certains patients affichent une insouciance déconcertante qui tranche avec l’angoisse de leurs parents.
Abdou, 11 ans, habillé d’un Lacoste et d’un short bleu ciel, sacoche entourant le cou, a 15 kilos de plus, traduit par un ventre mal entretenu. « Je ne peux pas contrôler mes excréments. Dans ma chambre, en classe, ça peut sortir à tout moment », soutient l’enfant, peu prolixe et presque gêné d’évoquer ses mésaventures.
Dans le bureau du diététicien, Dr Djiby Samb, sa mère, dont l’anxiété est perceptible, voit sa vie être tout, sauf un long fleuve tranquille. Interpellée sur la maladie de son enfant, le temps se fait plus grave, les mots se cherchent au milieu du silence qui veut tout dire. « Depuis 5 ans, mon fils souffre d’excès de poids. Il est paresseux, il ne veut pas faire de sport. Il veut tout le temps se coucher », constate-t-elle, la mort dans l’âme.
À Guédiawaye, précisément à Wakhinane Nimzatt, Nafi Mboup, rumine une colère depuis toute petite. Corpulence obèse, elle s’allonge souvent dans sa maison et en veut à ses parents. « Pourquoi je suis comme ça ? C’est vrai que mon père était une personne obèse, mais lui et ma mère auraient pu s’occuper de moi. Ils ne l’ont jamais fait », peste celle qui vit chez sa grand-mère maternelle. Dans son débit vocal, on sent une forme de dépit. « Mes parents ont acté leur divorce, mais moi je vis les conséquences de leur négligence », déplore-t-elle, se morfondant dans une tristesse. « J’ai 12 ans, mais j’ai la corpulence d’un jeune de 20 ans. Pourquoi mes parents n’ont pas cherché à me soigner ? Je n’ai pas de moyens d’aller à l’hôpital parce que ma grand-mère est malade », dit-elle tristement.
« Ma fille a échappé à un viol »
Ndiémé Diop, elle, a l’habitude de voir ses amis pointer ses grosses fesses. Par chance, elle a plusieurs fois échappé à des tentatives de viol. Sa mère, Anta Sène, témoigne : « Un jour, elle est venue me dire qu’un homme lui a remis 5.000 FCfa et a demandé à la fille de la rejoindre dans sa chambre la nuit. Je suis allée gronder le gars qui était un ressortissant de la sous-région. Je l’ai menacé de porter plainte s’il s’approche de ma fille qui a échappé à un viol », explique Mme Sène.
Ndiémé, 9 ans, a des formes généreuses qui ne laissent personne indifférente. « Elle est en surpoids. Raison pour laquelle les gens croient qu’elle est majeure. Elle prend du citron et du gingembre pour devenir mince. Ça ira ! », espère sa mère qui n’est jamais allée à l’hôpital pour soigner son enfant. « Ça va aller ! », répète-t-elle, fataliste. Elle précise qu’elle surveille sa fille comme du lait sur le feu.
Par contre, le petit Saliou Fall, résidant à Ouest Foire, a nié les drames de sa vie, rangé au placard sa tristesse pour se faire une place au soleil. Sa masse corporelle impressionnante, posée sur un banc public, ne fait pas de lui un paria. « C’est à l’âge de 7 ans que j’ai commencé à prendre du poids. Mes parents m’ont emmené à l’hôpital Fann. Mais, au bout de quelques années, je n’ai pas senti de changements dans mon corps. On a essayé la médecine traditionnelle. Ça n’a rien donné. Mes parents me disent que c’est Dieu qui l’a voulu ainsi. Désormais, je profite bien de la vie. Je travaille bien à l’école et je n’ai pas de problèmes. Je fréquente mes amis », affirme Saliou, 10 ans.
À l’Hôpital d’enfants Albert Royer de Fann, les spécialistes s’inquiètent de la montée de l’obésité chez les enfants. « L’obésité est une maladie qui commence à prendre de l’ampleur et qui nécessite une prise en charge nutritionnelle et diététique », souligne Dr Djiby Samb, diététicien à l’Hôpital d’enfants Albert Royer.
Dans la salle d’attente, ce sont des dizaines d’enfants qui attendent d’être consultés. Objectif : se débarrasser de leurs différentes pathologies dont l’excès de poids. Mais, au-delà de supporter une surcharge corporelle, ces gamins doivent aussi faire face aux pesanteurs sociales qui risquent de les emporter à petit feu.
PRATIQUE D’UNE ACTIVITÉ PHYSIQUE
Plus de 66% des Sénégalais sont sédentaires
Dans le Plan d’accélération de lutte contre les maladies non transmissibles 2023-2025, la Division de la lutte contre les maladies non transmissibles a donné des chiffres sur la pratique de l’activité physique. « Au Sénégal, 66,4% de la population est sujette à la sédentarité ou à une activité physique insuffisante », souligne le rapport. Le document précise qu’en 2016, 31% des personnes âgées de 18 ans, au moins, étaient en surpoids ou obèses.
PR BABACAR NIANG, PÉDIATRE À L’HÔPITAL D’ENFANTS ALBERT ROYER
« L’inactivité augmente le risque d’obésité »
Entre deux patients, Pr Babacar Niang, de l’hôpital d’enfants Albert Royer, explique les dangers de l’obésité causée par la malbouffe. D’après le pédiatre et nutritionniste, cette pathologie très fréquente chez les gamins peut augmenter les risques de diabète, d’hypertension artérielle, d’asthme, entre autres maladies chroniques.
Quelles sont les causes de l’obésité chez les enfants ?
D’abord, l’obésité est un excès de masses grasses dans le corps, nuisible à la santé. Il y a des facteurs qu’on ne maîtrise pas encore qu’on appelle des facteurs épigénétiques. Ce sont des affections qui surviennent très tôt dans la vie, soit au cours de la grossesse, soit dans les premiers mois de vie liées à la nutrition de la mère, à l’environnement immédiat de l’enfant. Sur ces facteurs génétiques et épigénétiques, interviennent ceux environnementaux. Les facteurs génétiques favorisent ceux environnementaux.
Quels sont ces facteurs environnementaux ?
Le premier est d’ordre nutritionnel parce que l’obésité découle d’un déséquilibre entre les apports alimentaires et l’activité physique. Si on fait peu d’activité physique et qu’on mange trop de calories, le résultat, à long terme, c’est le surpoids et l’obésité. En termes clairs, c’est l’alimentation trop riche, très abondante, associée à l’inactivité qui est à l’origine de l’obésité. Les parents ont moins de temps à préparer dans les maisons, les enfants se restaurent à l’école dans les cantines et prennent les aliments dans les « fast-food », lesquels sont très riches en graisse et en sucre. C’est un facteur très important. On peut citer les omelettes, les hamburgers, les fritures… Quand la pomme de terre est cuite avec de l’huile, cela augmente l’index glycémique. Ça donne plus de calories qu’une pomme de terre bouillie ou à la vapeur. De plus, les enfants boivent des boissons, des sodas, des jus hyper sucrés. Je lance un appel à l’État pour créer des infrastructures où les enfants peuvent jouer. Aujourd’hui, il n’y a presque plus de terrains disponibles. Les gens vivent dans des appartements. Quand ils y entrent, ils ne bougent plus. L’inactivité augmente le risque d’obésité.
Comment traitez-vous ces cas d’obésité chez les enfants ?
Le traitement découle des causes. Par contre, il est beaucoup plus difficile de traiter cette pathologie. C’est pourquoi on insiste sur la prévention parce que le traitement est très lent. Cela repose sur l’activité physique et l’alimentation équilibrée, c’est-à-dire pas très riche en graisse et en sucre. L’eau doit être la boisson naturelle. Le jus n’est pas une boisson à consommer. Ensuite, les légumes et les fruits sont les meilleurs aliments. Il y a aussi les céréales qu’il faut consommer avec modération comme le riz, le mil, le blé, etc. parce qu’ils contiennent du sucre. Pour les produits animaliers, le poisson est meilleur que la volaille qui, à son tour, est meilleure que la viande. Il ne faut pas dire à une personne de ne pas consommer x aliment. Il faut que ça soit équilibré tout en faisant de l’activité physique. La sédentarité est un facteur de risque important. Quand on s’assoit pendant des heures, il faut se lever chaque 1h ou 2h pour marcher 5 minutes au moins. Faire un travail assis pendant 8 heures de temps, ce n’est pas bon. On recommande aux enfants au moins 30 minutes à 1 heure de temps d’activité physique par jour, au moins 4 à 5 jours par semaine.
Est-ce qu’il existe des programmes de lutte contre l’obésité des enfants ?
C’est ce qui manque dans nos pays, contrairement aux pays occidentaux où il y a des réseaux de prise en charge bien huilés et bien adaptés. Il faut dire que les maladies chroniques qu’on appelle les maladies non transmissibles sont en émergence dans nos pays.
Est-ce que l’obésité favorise d’autres pathologies ?
L’obésité augmente le risque d’avoir l’hypertension artérielle. Il y a des risques de diabète et les complications respiratoires. L’enfant obèse a plus de risque d’avoir l’asthme au-delà des risques de problèmes orthopédiques. L’un des problèmes que l’enfant obèse développe tôt, c’est la perte de l’estime de soi. C’est une complication non quantifiable, mais très impactant chez l’estime de soi : le manque de confiance. À l’école, les enfants ne se font pas de cadeau. À la moindre occasion, on vous humilie en vous disant : « Eh le gros ! ». En tant que médecin, on va leur dire ce qui leur arrive n’est pas de leur faute. On a ce travail pour remettre en confiance le patient. D’ailleurs, dans la prise en charge, on associe l’enfant. Il ne suffit pas de lui ordonner un traitement. Le but n’est pas de faire disparaître l’obésité tout de suite. Ce n’est pas possible. Si tel est cas, c’est voué à l’échec. C’est un travail à long terme. L’idée est de faire en sorte que l’enfant obèse ne le soit plus à l’âge adulte.
Est-ce qu’il existe des données au Sénégal sur l’obésité des enfants ?
Dans notre pratique, on se rend compte que le nombre de cas d’obésité augmente de plus en plus. C’est juste un sentiment. La dernière étude qui a été faite sur la prévalence de l’obésité en milieu scolaire date de 2010. Tenez-vous bien, 9,34% des élèves étaient en surpoids sur 2.356 élèves âgés de 11 à 17 ans. 28% des enfants de cette tranche d’âge sont dans les écoles privées contre 4,7% dans les écoles publiques. Donc, les personnes plus ou moins aisées avaient l’obésité. C’est l’inverse dans les pays riches où les couches sociales basses sont plus exposées à l’obésité.
Propos recueillis par B. G. DIOP
Source : https://lesoleil.sn/stigmatisation-manque-de-confi...