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Thierry Breton: «L’institut Pasteur de Dakar regorge déjà de compétences pour la production de vaccins»

Rédigé par leral.net le Mercredi 14 Juillet 2021 à 20:52 | | 0 commentaire(s)|

Le Commissaire européen en charge du marché intérieur, Thierry Breton, est aussi le responsable de la Task-force de vaccins sur l’espace de l’Union européenne. Dans cet entretien, il donne les raisons qui fondent le soutien apporté à l’Institut Pasteur de Dakar pour l’ouverture d’un pôle régional de fabrication de vaccins anti-Ccovid-19 et contre les autres […]

Le Commissaire européen en charge du marché intérieur, Thierry Breton, est aussi le responsable de la Task-force de vaccins sur l’espace de l’Union européenne. Dans cet entretien, il donne les raisons qui fondent le soutien apporté à l’Institut Pasteur de Dakar pour l’ouverture d’un pôle régional de fabrication de vaccins anti-Ccovid-19 et contre les autres maladies.

Vous venez de participer à la signature des conventions pour la construction d’une unité de production de vaccins à Dakar. Comment le Président de la République a accueilli votre contribution ?

Le Président de la République, son excellence Macky Sall, est à l’origine de l’initiative. Il est venu nous voir à Bruxelles, le 13 avril, en pleine pandémie. Il a rencontré plusieurs autorités européennes. Nous avions échangé sur l’opportunité de la mise en place des usines de fabrication de vaccins. Nous avons accueilli favorablement cette proposition de partenariats, car nous estimons qu’il est indispensable que l’Afrique puisse bénéficier, le plus rapidement possible, d’une autonomie en fabrication de vaccins.

 Il est important d’être autonome sur l’ensemble de la chaîne de fabrication. Nous avons échangé avec le Président de la République et ses collaborateurs. Trois mois après, je suis à Dakar, à la tête d’une délégation de l’Union européenne pour signer les conventions pour le démarrage des travaux de l’usine. Nous avons pu le faire dans les délais raisonnables, parce que Dakar dispose d’une infrastructure exceptionnelle avec l’Institut Pasteur de Dakar sous la direction du Dr Amadou Sall.

L’institut Pasteur regorge déjà de compétences. Il faut avoir des compétences humaines et cela existe à Dakar. Il est donc important d’avoir une infrastructure et derrière de pouvoir réfléchir sur des ressources financières pour entamer les premières phases. Nous avons signé, le vendredi 9 juillet, la première phase avec le Président Macky Sall. Il s’agit d’une phase d’étude finalisée à hauteur de 10 millions d’euros.

Il y a plusieurs partenaires. Quelle est la contribution de l’Union européenne ?

L’Union européenne est de très loin le premier contributeur. D’autres partenaires et pays ont décidé de nous rejoindre en manifestant leurs intérêts au projet. Les travaux ont démarré à Diamniadio. L’objectif est de concrétiser cette première phase dans les trois prochains mois en mettant en place des technologies vaccinales retenues et qui sont adaptées à la pandémie de la Covid-19.  Nous devons nous donner des moyens pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Nous voulons que les premiers flacons puissent sortir au premier trimestre 2022. Nous voulons arrêter tout cela dans la première phase constituée de la technologie vaccinale et les processus industriels. Les sites sont déjà identifiés et les travaux peuvent commencer. L’infrastructure humaine, sous l’égide de l’Institut Pasteur de Dakar, est en train d’être mise en place. Nous allons essayer d’avoir plusieurs technologies vaccinales et les proposer dans cette usine pour répondre à l’équation des variants et aussi prendre en charge d’autres besoins.  Cette infrastructure pourrait être utilisée pour fabriquer d’autres vaccins contre d’autres maladies afin de permettre à l’Afrique d’être autonome en matière de fabrication de vaccins.

La deuxième phase de ce projet coûtera 200 millions d’euros. À terme, 300 personnes seront employées dans cette usine. Nous visons une production de 300 millions de doses de vaccins par an. C’est significatif. Cette production permettra de couvrir les besoins du Sénégal et de toute l’Afrique au sud du Sahara. Ces derniers vont travailler pour l’industrie pharmaceutique au Sénégal à vocation africaine.

Est-ce que l’Institut Pasteur de Dakar sera capable de produire autant de vaccins pour le Sénégal et le reste de l’Afrique de l’ouest ?

L’Institut Pasteur de Dakar est, aujourd’hui, l’initiateur scientifique du projet de fabrication de vaccins. Il est important de disposer de compétences. Nous allons faire en sorte que les partenaires industriels puissent apporter leur soutien à l’Institut Pasteur de Dakar pour lui permettre de monter en puissance et de produire, de manière industrielle, ces vaccins. C’est là que nous allons nouer des partenariats avec les task-forces que je dirige à l’Union européenne. L’objectif  est de voir comment assurer un bon transfert de compétences, de savoir-faire et de technologie.

Pensez-vous que seule la production locale de vaccins pourrait aider les pays comme le Sénégal à atteindre un taux de vaccination acceptable pour protéger la population ?

Le Président Macky Sall a fixé un objectif de 60% de taux de couverture vaccinale à l’horizon 2023. À partir du moment où nous allons fabriquer 300 millions de vaccins par an, cela est bien possible. Actuellement, beaucoup de pays font des dons de vaccins dans la coopération bilatérale. Parmi eux, il y a  la France. Le Président Macky Sall a commandé 5 millions de doses supplémentaires de vaccins. C’est une bonne chose parce qu’il faut se donner les moyens avant le démarrage de l’usine de fabrication de vaccins. Il faut accélérer la vaccination pour sauver la population.

 

Quelle lecture faites-vous de l’implication de plusieurs bailleurs dans la réalisation de ce projet ?

La France, à travers l’Agence française de développement (Afd), l’Allemagne, les États-Unis, entre autres bailleurs, sont impliqués dans ce projet. Il y a une forte dynamique parce que beaucoup de partenaires et d’États sont engagés pour sa réussite.

Certains spéculent sur la différence d’efficacité entre le vaccin AstraZenac fabriqué en Europe et celui produit en Inde. Quel commentaire en faites-vous ?

Je ne vais pas me prononcer sur la qualité épidémiologique et scientifique d’un vaccin. Nous avons une Agence européenne du médicament dont les membres doivent donner leur point de vue. Nous avons des critères d’évaluation. J’ai constaté qu’AstraZeneca est un très bon vaccin et donne de bons résultats. Il a très peu d’effets secondaires. D’ailleurs, cela a été prouvé par différentes études.  C’est vrai que nous avons le Serum Institute de l’Inde qui fournit le nombre le plus important de ces vaccins. Ces derniers sont pour l’instant gardés par les autorités indiennes pour faire face à la pandémie en Inde. Ces vaccins sont destinés à être exportés vers plusieurs pays dans le monde, notamment en Afrique.

Je dois préciser que la reconnaissance d’un vaccin par l’Union européenne se fait après l’évaluation par l’Agence européenne du médicament.  L’Europe est sur le point de devenir le premier continent producteur de vaccins. On peut se donner des moyens pour fournir les vaccins en Afrique. Nous préférons créer des usines de fabrication pour que l’Afrique soit autonome en matière de vaccination. Mais pour qu’un vaccin soit reconnu dans l’Union européenne, il faut faire la demande d’évaluation. Cela n’a pas été fait pour le vaccin chinois. Cependant, les analyses sont en cours pour le vaccin russe. C’est une démarche scientifique.

 

Pourquoi l’Union européenne n’aide pas des pays comme le Sénégal qui font face, actuellement, à l’indisponibilité des vaccins ?     

 Les vaccins ne tombent pas du ciel. Il faut les fabriquer. L’Union européenne, il y a 4 mois, n’avait pas de vaccins. Nous avons tous dû monter des chaînes de production. Cela été compliqué. Je rappelle que l’Union européenne exporte la moitié de sa production. Nous avons pris tout de suite la décision de dire que nous gardons la moitié de notre production pour nous et exportons le reste. Même au début, quand nous fabriquions peu de vaccins, nous exportions la moitié. Les États-Unis, pour le moment, n’ont pas exporté une seule dose. Pourtant, ils en fabriquent. Ils préfèrent garder pour eux. Je ne critique pas leur choix. C’est leur décision. J’espère qu’ils vont bientôt suivre l’exemple de l’Union européenne.

Quand nous fabriquons un million de vaccins, nous en exportons 500.000. C’est cela la politique européenne. Pourtant, la Grande Bretagne n’en exporte pas.  Bien sûr que ce n’est pas satisfaisant. Je pense qu’il faut maintenant aider le continent africain à avoir sa capacité de production. Je suis nommé patron de la Task-force européenne, le 5 février. Cela fait 5 mois. Dans 5 mois, nous allons monter des chaînes de production, y compris en Afrique. Au sein de l’Union européenne, nous allons augmenter notre capacité de production au second semestre. Nous allons avoir des échanges bilatéraux, les plus importants pour combler les besoins.
Est-ce que cette crise sanitaire ne doit pas être le point de départ pour créer une vraie industrie de fabrication de vaccins et de médicaments en  Afrique ?

 Je suis à la tête d’une délégation de l’Union européenne pour aider le Sénégal à être totalement autonome en fabrication de vaccins. C’est la pandémie qui a impulsé la coopération dans ce domaine. D’ailleurs, pour le Président Macky Sall, il faut contribuer à créer un écosystème pharmaceutique qui va accroître l’autonomie en fabrication de médicaments et de vaccins. Pour moi donc, la pandémie doit servir, en partie, à la création d’une autonomie en fabrication de vaccins et de médicaments. Nous avons un destin commun. À cause de cette crise sanitaire, je suis l’avocat infatigable de l’Afrique. Elle a besoin de renforcer son indépendance dans beaucoup de secteurs comme celui de la santé. C’est mon combat.

 

Le débat sur l’efficacité des vaccins par rapport aux variants se pose. Ne doit-on pas s’attendre à ce que l’on exige une troisième dose aux candidats au vaccin ?

Les vaccins fonctionnent pour l’instant. Si jamais cela est nécessaire, il faut être prêt. Nous sommes en train d’augmenter les capacités de production en Europe pour éventuellement fournir la troisième dose en cas de besoin. Nous nous préparons à cette éventualité. Ce n’est pas encore sûr. Il faut suivre l’évolution de l’épidémie et les avis des scientifiques.

Les certificats et les passeports vaccinaux soulèvent des controverses au sein de l’Union européenne…    

 Nous voulons être sûrs que la personne qui entre en Europe est en bonne santé. Quand je viens au Sénégal, un pays que j’aime beaucoup, si les autorités m’exigent un Test Prc, je suis tenu de m’y conformer. Parce que c’est la crise sanitaire qui l’impose. Il faut l’accepter, parce que nous sommes encore dans une période où la situation sanitaire de la personne qui entre dans un pays doit être connue pour protéger les autres. C’est tout à fait normal à mon avis. Ce n’est pas pour embêter des personnes qui veulent entrer dans l’espace de l’Union européenne.

Propos recueillis par Eugène KALY / (Photo : Pape SEYDI)

 

 

 



Source : http://lesoleil.sn/thierry-breton-linstitut-pasteu...