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Urbanisation au Sénégal : Quand hasard, désinvolture et incompétence dictent leurs lois

Au Sénégal, il n’est pas toujours aisé de trouver une cohérence dans les processus d’urbanisation tant les mutations urbaines semblent dictées par le hasard. Les bâtiments d’habitation bourgeonnent, s’étirent, s’affaissent sans prédiction possible, obéissant presque au seul gré des maîtres d’ouvrages. Les équipements publics suivent la même trajectoire, traduisant une légèreté voire une absence de la planification. Certains quartiers demeurent des îlots sans interconnexion (transport, réseaux secs et humides…) avec les autres espaces urbains, cela dans une posture de normalité qui défie toute logique d’aménagiste. Pourtant, les instruments institutionnels et juridiques existent, qui désignent les acteurs et les responsabilités en matière d’urbanisme.


Rédigé par leral.net le Lundi 26 Octobre 2015 à 11:56 | | 0 commentaire(s)|

Urbanisation au Sénégal : Quand hasard, désinvolture et incompétence dictent leurs lois
La loi de décentralisation du 22 mars 1996 avait déjà transféré aux collectivités locales, les compétences d’urbanisme et d’habitat, leur permettant ainsi d’élaborer les documents y afférant comme le Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU), le Plan Directeur d’Urbanisme (PDU) et le Plan d’Urbanisme de Détail (PUD) ou de délivrer des documents d’urbanisme comme les autorisations de construire, les permis de bâtir et de démolir ou les certificats d’urbanisme et de conformité.

Le Code Général des Collectivités Locales (CGCL) porté par la loi n°2013-10 du 28 décembre 2013 rappelle dans son article 170, au rang des compétences transférées à la Ville, « …l’élaboration du Plan Directeur d’Urbanisme (PDU), du Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU), des Plans d’Urbanisme de Détail des Zones d’Aménagement Concerté, de rénovation urbaine et de remembrement ; l’élaboration et l’exécution du Plan de Développement de la Ville (PDV); la mise en œuvre du contrat plan avec l’État pour la réalisation de projets de développement.»

Le Département assure à son tour, au titre de l’article 318 du même code, l’approbation des SDAU ainsi que le soutien à l’action des communes en matière d’urbanisme et d’habitat. Malgré ces précautions réglementaires qui définissent de façon précise les responsabilités des acteurs, le sentiment d’un hasard qui guide l’action publique se dément difficilement par les observations de terrain.

Le travail de planification urbaine se résume dans nombre de villes à la réalisation de lotissements qui d’ailleurs ne résulte pas souvent d’une étude formelle des besoins, mais d’une opération d’abord commerciale. Il est important de garder à l’esprit que le lotissement est le dernier échelon de la planification, en ce sens qu’il doit être articulé au projet territorial et intégré dans une logique de solution globale. Malheureusement, cet outil est bien souvent utilisé à mauvais escient, pour apporter des réponses conjoncturelles qui ne prennent pas en compte les équipements et services publics que sont les infrastructures de transport, de santé, d’enseignement, d’assainissement, de gestion des déchets, etc.

Le lotissement a par exemple été la principale solution utilisée par le colonisateur dans les quatre communes pour étendre progressivement les villes à la périphérie des centres administratifs. Cette solution a depuis lors été reprise comme modèle d’urbanisation de référence par les collectivités postcoloniales du Sénégal.

Les villes sont ainsi construites lotissement par lotissement, au gré des conjonctures, en l’absence de toute planification stratégique. Les problèmes arrivent naturellement avec l’installation des occupants et les solutions correctives se révèlent bien plus coûteuses et pas toujours financées.

L’inondation récurrente des territoires trouve une de ses explications dans ce mode de raisonnement paramétrique à une échelle localisée au détriment d’une vision territoriale systémique qui planifie et attribue les fonctions des espaces suivant les besoins, les usages, les potentialités pédologiques et morphogéographiques et les contraintes environnementales. Certains terrains sont aujourd’hui simplement remblayés pour faire l’objet d’un lotissement sans autre forme de précaution.

Un aménagement cohérent exige une véritable connaissance de la géographie des territoires (sols, climats, topographie, ressources, démographie, usage actuels et projetés, etc.). De cette connaissance physique et humaine, découlent les attributions fonctionnelles des espaces en tenant naturellement compte de la carte des risques naturels et industriels.

L’urbanisme commercial a quant à lui, une application confidentielle et bien souvent tronquée. Certaines zones à vocation initialement commerciale ou industrielle ont fini par accueillir des usages d’habitation, d’enseignement ou de
santé, multipliant ainsi les risques industriels et environnementaux. Les accidents, quand ils arrivent, sont lourds de conséquence comme le cas de l’explosion de la citerne d’ammoniac de la SONACOS du 24 mars 1992.

Cet antécédent n’a pas servi de leçon et l’urbanisation se poursuit aujourd’hui dans un enchevêtrement inextricable où se côtoient et s’emmêlent habitats, services, industries et mobilités. Notre pays n’a malheureusement pas la mémoire du risque. L’implantation des stations-services au milieu des habitations en est une illustration flagrante. Les règles de sécurité les plus élémentaires sont foulées aux pieds, cela au seul gré de la logique commerciale.

La zone de Bel Air avec le voisinage d’habitation, de services et d’établissements d’enseignement, ainsi que les zones de Hann ou Mbao obéissent à la même désinvolture urbanistique. Pourtant, les lois d’urbanismes sont complétées par le Code de l’environnement, notamment dans ses ressorts relatifs aux installations classées pour la protection de l’environnement. Ainsi, l’article L13 dudit code subordonne certaines autorisations d’exploitation à des conditions d’éloignement par rapport aux « habitations, aux immeubles habituellement occupés par des tiers, aux établissements recevant du public et aux zones destinées à l’habitation, aux cours d’eau, aux lacs, aux voies de communication, aux captages d’eau ».

Aujourd’hui, en attendant des actions correctives de la part de l’autorité publique, il n’est pas souhaitable d’avoir le moindre accident qui pourrait avoir des conséquences lourdement dommageables aux populations et à l’environnement.

Les lacunes en matière d’urbanisme commercial conduisent également à des conséquences économiques non négligeables. La proximité d’activités identiques entraîne parfois une concurrence irrationnelle qui cannibalise le marché. Ce fût le cas des « télécentres » qui ont connu une fin prématurée du fait d’abord d’une absence totale de maîtrise de leur implantation et de leur développement. Les boutiques, les ateliers de coutures et autres commerces subissent la même absence de planification qui à terme, pourrait s’avérer dommageable à ces secteurs.

Une certaine logique libérale voudrait que le marché se régule tout seul, que les plus forts restent et que les plus faibles disparaissent. Mais une autre logique pourrait aussi être mise à contribution en adjoignant une petite dose de régulation pour favoriser l’efficience économique en cohérence avec le territoire d’expression. Au même chapitre de l’urbanisme commercial, il n’est pas rare de voir certaines rues du centre-ville de Dakar bloquées par des camions pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours pour des opérations de livraison. Cette situation acceptée avec fatalité n’a rien de normal et traduit une urbanisation qui échappe au contrôle, une urbanisation qui n'anticipe pas les besoins.

Par ailleurs, la disponibilité des documents d’urbanisme n’est pas toujours acquise, parfois par défaut de leur élaboration par l’autorité compétente, parfois du fait de leur inaccessibilité administrative. Cette situation invite sinon incite les promoteurs à construire suivant leurs propres règles, option aux conséquences lourdes et difficilement rattrapables. Le déficit de compétence métier n’est pas en reste pour instruire convenablement les dossiers d'urbanisme, ce qui accentue le risque juridique et de jouissance qui plane sur les occupants déjà installés ou sur les porteurs de projets.

Aussi, des primo-habitants se sont vus encerclés et dominés par la hauteur de bâtiments dont aucun document d’urbanisme n’avait prédit l’érection, entraînant une perte de jouissance et de valeur de leurs biens immobiliers. Dans les situations extrêmes, des populations installées dans des zones d’habitation voient leur secteur glisser vers des mixités d’usage avec des activités polluantes, bruyantes, génératrices de trafic, etc. Certains quartiers comme la Médina par exemple se sont construits et développés dans cette absence de prévision et se retrouvent piégés dans des microcosmes climatiques préjudiciables.

De plus, il y a une constamment une déconnexion factuelle entre l’implantation de certains équipements et leur desserte. Ainsi, des établissements d’enseignement par exemple sont construits sur des sites inappropriés ou sans aménagements viaires (desserte locale, dépose-minute, etc.) pour faire face aux flux générés, ce qui se répercute négativement sur le trafic global aux horaires de pointe. Certains grands projets ont également du mal à s’opérationnaliser ou connaissent des retards face à des contraintes foncières non anticipées, ce qui les rend plus onéreux du fait des coûts de libération d’emprise.

Les projets d’infrastructures de transport (autoroutes, métro, train express, etc.) sont dans ces situations où les problèmes ont régulièrement été reportés sans planification des solutions. Ces situations sont là pour rappeler à l’autorité publique, les vertus de la planification urbaine qui, par son approche anticipatoire, permet d’économiser du temps et de l’argent.

La place du piéton dans la ville tout comme la notion d’espace public restent à redéfinir également. Aujourd’hui, les trottoirs s’ils existent, ont perdu leur fonction et sont le plus souvent privatisés par des divers marchands (« tabliers », gargotiers, lunetiers, détaillants en tout genre…) et du fait également de l’extension illégale des surfaces commerciales des magasins riverains. Certains propriétaires se sont également attribué le trottoir au droit de leur propriété, y allant de leur personnalisation, réduisant ainsi les largeurs des voies, modifiant mêmes les alignements parcellaires sans que l’avis de l’autorité publique n’ait été sollicité. Certaines voies sont ainsi restreintes à la circulation du fait d’actions privées sans que l’autorité publique ne trouve à y redire.

Ainsi, il s’avère difficile, du fait de l’encombrement de l’espace public ou de l’absence d’équipements adéquats, de se promener à pied à Dakar, qui plus est avec des enfants, en comparaison à l’île de Saint-Louis par exemple ou d’autres villes de l’intérieur du Sénégal. C’est en définissant la place du piéton dans la ville que se posera la question des équipements de prise en charge de sa mobilité. La même interrogation se pose au sujet de la prise en compte du handicap dans l’espace public et de la mobilité de façon plus large.

À Dakar, les dos d’âne fleurissent sous l'entreprise de riverains préoccupés par la sécurité routière et qui dégradent les infrastructures sans être inquiétés. Certains restreignent voire empêchent l’accès à des artères en y implantant des blocs de pierre ou des pneus usagés pour assurer la quiétude de leurs lieux de vie ou encore lors des travaux durant lesquels le sable comme les briques sont stockés sur l’espace public sans autorisation aucune. D’autres créent des dessertes locales (shunts routiers illégaux) en sectionnant des trottoirs qui sont transformés en voies de circulation au grand dam des piétons.

L’ironie veut que parfois, les mêmes qui encouragent les opérations de déguerpissement des marchands ambulants menés par les maires et préfets, privatisent l’espace publique au voisinage de leurs domiciles sans que ce double raisonnement ne trouble leur conscience. Pendant ce temps, l’autorité publique brille par son silence et son impéritie. Si les pouvoirs publics ne prennent pas leur responsabilité dans ces situations, qui pourra s’arroger une légitimité d’intervention ?

Au-delà du constat ici fait, l’autorité publique doit se donner les moyens juridiques, financiers et disposer des aptitudes nécessaires pour exercer pleinement la compétence d’urbanisme qui lui est dévolue. Une ville se construit dans la maîtrise des fonctions urbaines nécessaires à l’épanouissement des usagers dans le respect de l’environnement. Toutefois, cette construction ne peut faire l’économie d’une projection à moyen et long termes des usages et des équipements afférents, en tenant compte des considérations démographiques, socioéconomiques, financières et environnementales. L’action publique n’a de sens que si elle s’inscrit dans une vision stratégique pour apprendre du passé, agir sur le présent, mais aussi prévoir et provoquer le devenir des hommes et des territoires.

Yatma DIEYE
Président du Club Upsilon
Cercle de Réflexion pour le
Développement du Sénégal