Avec le producteur Souleymane Kébé, il est le Sénégalais le plus présent sur les affiches de films en compétition officielle au Fespaco 2023. Le chef opérateur Amath Niane est le directeur de la photographie pour trois œuvres toujours fortement appréciées pour la qualité et la justesse des images au sortir des projections. Sa touche fait sens. Nous racontons ici ces films à travers son œil, l’œil de sa caméra et sa manière de regarder pour nous faire voir.
Par Mamadou Oumar KAMARA (envoyé spécial)
OUAGADOUGOU– « Xalé, les blessures de l’enfance », « Le Mouton de Sada » et « l’Envoyée de Dieu ». Ces trois films sénégalais et nigériens en compétition officielle au 28ème Fespaco partagent une corde qui lie leurs vies. Elle est faite de deux ficelles principales. L’une, un sujet, concerne l’innocence et la pureté perturbées de l’enfance. L’autre, qui tient résolument de l’esthétique, s’agit de l’image. Elle est signée pour les trois par le chef opérateur sénégalais Amath Niane, qui a imprimé sur les trois son génie de directeur de la photographie.
Il est caméraman, mais Amath ne fait que filmer. Son œil fait un avec celui de sa caméra, en important sa sensibilité, sa créativité, ses sens et ses clins de génie. Formé au Média Centre de Dakar, à l’école du maître du documentaire Samba Felix Ndiaye, Amath Niane a ensuite parfait ses gammes à l’ombre du défunt cinéaste et formateur Abdou Aziz Boye. Il fait partie des premiers « fils » du Ciné Banlieue, un ciné-club incubateur humaniste de jeunes talents cinéastes a priori désœuvrés. Tout comme le défunt formateur Abdou Aziz Boye l’a couvé et a présenté à sa disposition les outils nécessaires à sa progression, Moussa Sène Absa lui tendra aussi la main pour « Xalé, les blessures de l’enfance ». Amath Niane avait déjà longuement bourlingué et filmé des succès. Mais il considère l’expérience comme fondatrice d’un nouvel élan pour sa carrière.
« XALE … », UN MANIFESTE
Amath Niane est un produit du film documentaire et du court-métrage. Il compte des dizaines de productions à ce dernier genre. Il a notamment trois longs-métrages documentaires avec Rama Thiam qui a permis ses premiers solides pas dans le cinéma. Il en était là quand le doyen réalisateur Moussa Sène Absa le contacte et lui dit son souhait de travailler avec lui sur le projet « Xalé, les blessures de l’enfance » comme directeur de la photographie. « Ça m’a fait réfléchir et tiquer », sourit Amath Niane. Il a pris la proposition comme un challenge au regard du pedigree de Moussa Sène Absa, qui a fait le tour du monde avec ses films.
Aussitôt après avoir accepté l’offre, Amath revoit toute la filmographie du réalisateur de « Tableau ferraille » (1997) et « Madame Brouette » (2003) pour comprendre son procédé. « J’ai constaté son lyrisme et ses espaces. C’est un cinéaste des espaces », dit Amath. Il avait vu juste car la mise en scène de « Xalé … » n’est pas fermée. « Au tournage, Moussa Sene Absa m’a donné une totale liberté. Le film a été réalisé dans la totale création et en toute harmonie. C’était organique », se réjouit le chef-op.
Dans « Xalé, les blessures de l’enfance », on a semblé voir quelques fois une captation de théâtre populaire. Amath confirme. « C’est cela, Moussa Sène Absa. C’est sa marque de fabrique d’artiste. Il est original. Et pour marquer cela, si vous remarquez la caméra n’est jamais fixée. Elle bouge tout le temps, même si c’est un tout petit mouvement. Elle est flottante, va vers l’acteur, les comédiens je dirai, et les accompagne », déchiffre le directeur de photographie, qui dévoile par-là sa contribution artistique.
Selon lui, il était impératif de rallier l’identité artistique du réalisateur et sa démarche, tout en se permettant sa touche des « p’tits mouvements, les p’tits travellings ». Ce qui a bien marché, apparemment. Mais ce tournage a surtout été une école de la fiction pour le chef opérateur. « Ce film a été un manifeste pour moi. J’y ai expérimenté une nouvelle façon de filmer, de voir, d’éclairer, de capter la lumière. J’ai tenté des références engrangées durant ma formation et mon parcours. Je me suis défoulé ensuite pour, en fin de compte, me trouver et parfaire mon identité visuelle », se satisfait Amath Niane qui est pourtant déjà un talent prisé en Afrique. Mais on ne finit pas d’apprendre, et son expérience sur le tournage a été un tournant.
« LE MOUTON DE SADA », EFFICACE ET LUMINEUX
Sur sa participation, Amath Niane considère « Le Mouton de Sada » comme la somme d’expérience qu’il a capitalisée sur le tournage de « Xalé … ». Cette vision nouvelle et cette nouvelle manière cinématographique transparaissent dans ce premier long-métrage fiction du réalisateur Pape Bounama Lopy. « Nous avons beaucoup échangé moi et Lopy avec qui j’ai fréquenté Ciné Banlieue à ses débuts. Énormément d’ailleurs car le film n’avait pas de budget et n’en a toujours pas d’ailleurs. Il fallait donc être efficaces, mais tout en restant excellents car il fallait honorer notre formation et c’était le premier de Lopy », confie le directeur photo.
Ils ont, en effet, échangé sur les références visuelles et iconographiques, surtout les classiques, afin de trouver leur propre voie. Ils ont parlé photographie et types de lumières. Là, il fallait la création d’un style propre. « Il s’agissait de filmer la complicité entre un animal qui n’était pas dressé et un enfant. Il fallait rendre le bélier chaque soir à son propriétaire. La démarche documentaire était donc la solution. Dans la scène du marché, par exemple, il n’y avait pas de dispositif de la fiction. C’est du documentaire pur. Nous avons simplement placé la caméra au bon endroit, et nous nous sommes assuré ensuite que les passants ne soient pas distraits », témoigne Amath. Du grand art, avec le rendu.
Prodigieuse, « L’Envoyée de Dieu »
« Le projet qui m’a le plus parlé des trois », selon Amath Niane. Il donne les arguments du panafricanisme déjà, et de l’intensité surtout. Le film est parti sur une histoire qui devait être de la manière la plus simple, mais aussi la plus belle, la plus forte et la plus profonde qui soit. Il s’agit d’une jeune fille kidnappée par un groupe terrorisme et qu’on doit faire exploser. Au nom de Dieu. « La force du film est qu’on voulait éviter à tout prix d’être dans le sang, le misérabilisme et la victimisation. Amina est du Niger et partage l’insécurité du Sahel. L’histoire des 200 filles enlevées par le Boko Haram a ému le monde, mais le plus émouvant était toute cette pureté et cette innocence qu’on allait leur enlever », raconte Amath, qui devait transmettre les images et les émotions de cette « idée ».
Amina Mamani Abdoulaye est donc venue au Sénégal et a discuté avec le chef opérateur. Tous deux choisissent de « raconter simplement, de manière accessible, mais avec une histoire bouleversante ». Ils projettent ainsi, au tout début, une jeune fille frêle et en vie qui subit un lavage mortuaire. On la prépare à la mort. La cruauté exercée sur l’innocence sous le couvert d’une cause totalement dévoyée et pervertie sonne nette. On lui confie ensuite la mission de kamikaze, pour exploser un marché où se trouvent sa famille et sa communauté.
« J’ai cessé de filmer la jeune fille à hauteur d’enfance dès qu’elle est entrée dans le souk car sa pureté a été violée. Elle est écrasée par le fardeau bien trop lourd sur sa conscience d’enfant, et on l’a filmée en l’écrasant. On l’a filmée aussi de dos chaque fois qu’elle est en pôle situation et ne maîtrise pas sa perspective. C’est un procédé très cool que j’ai appris des frères Cohen », confie Amath.
Source : https://lesoleil.sn/amath-niane-chef-operateur-cap...