En Basse-Casamance, la royauté y existe depuis plusieurs siècles. Jusqu’en 1970, les populations du «MofEwi» (la terre du roi, ancien royaume du Bandial) vivaient sous le regard bienveillant du souverain Affilédio Manga qui s’est éteint la même année, soit deux ans avant le « Bukut » (rites initiatiques) de 1972. Quarante-quatre ans après cette disparition, tout le village attend l’arrivée au trône d’un successeur. Voyage dans l’antre du « roi de la pluie », défunt-gérant du « Funir », le fétiche le plus contraignant de la zone.
Par Jonas Souloubany BASSENE et Gaustin DIATTA (Correspondants à Bignona et Ziguinchor)
ZIGUINCHOR – Enampore, nom poétique d’une douce localité de la Basse Casamance et terre vénérable bardée d’histoires. En effet, ce royaume a perdu son roi en 1970, maisconserve jusqu’ici toute sa sacralité. Pour se rendre dans ce terroir du dernier roi Affilédio Manga, il faut, à partir du village Brin, dans la commune de Nyassia (département de Ziguinchor), emprunter une route latéritique longue de plus de dix kilomètres. En cette période de l’année, celle-ci est mal arrosée, avec souvent des nids-de-poule qui rendent le voyage difficile. A bord d’un taxi-brousse, l’on admire la beauté du paysage constitué d’un tapis herbacé plus ou moins verdoyant. De loin, on aperçoit des tas de gerbes de riz bien rangées et couvertes avec des tissus de couleur blanche. La Casamance, c’est le riz à perte de vue dans les rizières. On est aussi attirés par les vaches dans les rizières de Badiate, Essyl ou encore Kameubeul. Le périple est loin d’être un long fleuve tranquille. Le véhicule fonce à vive allure sur le royaume.
Après quelques minutes de route, Enampore est à portée de main, avec ses atypiques cases à impluvium qui tiennent encore debout et accueillent le visiteur. Ses forêts se situant même au milieu des habitations et des bois sacrés implantés çà et là, en disent long sur la capacité de ce village à conserver sa religion traditionnelle. Bienvenue à Enampore qui abrite le royaume d’Affilédio et sans roi depuis plus de quatre décennies. Berceau du conservatisme, Enampore qui situé sur la rive gauche du fleuve Casamance, entre Oussouye et Ziguinchor, attend toujours l’arrivée de son nouveau roi. Le monarque Affilédio qui gérait « Funir », le fétiche suprême n’est plus depuis 1970. Cependant, Charles Manga, plus connu sous le nom de Bakodia a été désigné (dans la lignée des Manga), pour assurer la gestion des affaires courantes traditionnelles. Il peut être considéré comme un gouverneur. Ce dernier assure cette fonction depuis plus de cinq ans et est connu et respecté de tous dans le royaume. Il lui revient la charge et « l’honneur »de jouer ce rôle jusqu’au jour où le royaume aura un nouveau roi.
CHARLES MANGA, L’INTERMITTENT
Trouvé au quartier Enampore-centre (Ediougamof, la terre rouge) dans la mi-journée du jeudi 5 janvier, le chef coutumier suprême du royaume Affilédio Manga dit remplir cette noble mission avec fierté. « J’étais encore très jeune au moment du règne du roi Affilédio Manga qui était quelqu’un de très bien. Depuis sa disparition en 1970, le peuple du royaume attend l’arrivée d’un nouveau roi », souligne Charles Bakodia Manga. Aujourd’hui, poursuit-il, personne n’est en mesure de dire la date de l’intronisation d’un nouveau roi. Ce sont les fétiches qui vont s’en occuper lance-t-il. « Moi-même je ne sais pas. J’espère que vous comprenez parce qu’il y a des choses à ne surtout pas révéler. C’est sacré, et c’est comme ça », ajoute-t-il.
Dans le reste de la Basse-Casamance, notamment à Oussouye, Essaout, Mlomp ou encore Cagnout, il y a la présence d’un roi et sa cour. Dans le royaume Affilédio, on attend avec impatience le couronnement d’un monarque. Neveu de la famille royale (les Manga), Jules Tendeng soutient que cette localité obéit à une organisation rigoureuse qui doit être respectée de tous. « Dans ce royaume, ce sont dix villages qui sont sous la tutelle du roi. Le défunt souverain avait réussi à très bien délimiter les frontières de Djibonker à Bandialen passant par le village de Médina. Il régnait sans problèmes. Son successeur qui n’est pas encore connu fera aussi la même chose », explique Jules Tendeng, professeur d’histoire à la retraite.
UN ROI TOUT PUISSANT
« Philosophe » et ancien enseignant au lycée de Mlomp (Oussouye), au Collège Sacré-Cœur de Dakar mais aussi au Cem de Niaguis, dans le département de Ziguinchor, Jules Tendeng indique également que le roi, quand il était encore en vie, avait des représentants dans certains villages qui composent le royaume. « Ici, c’est le roi qui gère le fétiche suprême. En revanche, lors des libations ou toutes autres cérémonies traditionnelles, il ne verse pas le vin de palme pour implorer le Seigneur de leur donner suffisamment d’eau. Il ne touche à rien », souligne Jules Tandeng. Car, il y a des gens qui le font à sa place. Dans sa cour, c’est son secrétaire qui exécute cette fonction. Il a également des « gendarmes » (des gens du village de Séléky) qui veillent également à l’application des lois et instructions édictées par le roi. Les Diatta du village de Badiate s’occupent de la sécurité du roi, ce sont ses gardes du corps. Ils sont toujours présents lors des déplacements du roi et veillent sur son siège, poursuit, Jules Tendeng, l’historien d’Enampore qui se réclame un des disciples de Cheikh Anta Diop.
Dans le royaume Affilédio, ce n’est pas n’importe qui, qui doit toucher les habits du roi. Même pour les coudre, la cour a désigné une partie de la dynastie des Manga pour s’en occuper. « Le roi porte du rouge, mais aussi du noir. Quand il y a un décès ou une autre cérémonie traditionnelle, il va porter le noir avant de sortir du site royal. A l’intérieur de la cour royale, il y a six personnes qui sont à ses côtés. Il y a des choses qu’on ne doit pas vous dévoiler », précise Jules Tendeng. Affilédio Manga, dit-on, était cette personnalité qui avait réussi à gagner l’estime de ses administrés. Tout un mystère l’entourait. Car, quand il pleuvait précise-t-on, il pouvait rester dehors sans être mouillé. Gardien de la paix sociale, le roi est un personnage sacré. Tout comme tout ce qui touche à lui.
« FUNIR », L’EXIGENT FETICHE DU ROI
Comme le « Eloung » à Djivente, dans le département d’Oussouye, « Funir » est aussi un fétiche très contraignant qui ne pardonne pas. Il suffit juste de commettre des erreurs pour que l’auteur paie pour ce qu’il a fait. Ce qui est banni par le fétiche du roi est très clair et connu de tous dans le royaume d’Affilédio. Par exemple, il est formellement interdit d’entretenir des relations sexuelles avec une femme qui voit ses règles. Celui qui s’adonne à cette pratique jugée indécente sera sévèrement puni par le « Funir ». Idem pour celui qui agresse une personne au point de verser une petite goutte de son sang. Aucun habitant de ce royaume n’a le droit de mettre ses pieds dans une maternité ou de voir le sang d’un accidenté. Quand une personne transgresse ses lois, il ne pourra échapper à la furie du « Funir ». Selon Jacques Vieux Manga, tout fautif est obligé d’aller se confesser auprès du fétiche du roi. Et le mis en cause ne s’y rend pas les mains vides. «En venant, il amène un litre de vin de palme, une gerbe de riz et va se confier au gérant du « Funir » qui, après avoir écouté la version du coupable, va verser le vin avant d’y laisser la gerbe de riz », souligne Jacques vieux Manga. Une fois fait, tout revient à la normale. A l’époque, fait-il savoir, l’amende était de 10 taureaux si on commettait une faute grave. Mais, aujourd’hui, tout a été allégé parce que, la modernité est aux portes du royaume et les filles et fils de ce royaume bougent beaucoup, témoigne M. Manga, membre de la famille royale. Aussi, dit-il, il est permis,de nos jours, à un fils du royaume Affilédio de suivre des cours de gynécologie et vivre pleinement sa passion, plus tard. Chacun peut se rendre également dans une maternité. Mais, après, il faut toujours se confesser auprès du « Funir » en y versant du vin de palme. Des interdits qui ont été levés en 2004. Un salut pour les jeunes de ce royaume. Symbole d’un renouveau et d’une ouverture sur le monde. Au royaume Affilédio, le roi est mort. Vive la reine ! Qui, comme tous les autres, attend toujours, aussi, l’arrivée de son guide suprême. Son collaborateur le plus proche avec qui elle forme un duo pour le bien du royaume Affilédio.
MARIE-ROSINE MANGA
Enseignante et reine des femmes du Bandial
Sa sortie sur l’état défectueux de la route du royaume de « MofEwi », commune d’Enampore, au lendemain de sa sacralisation, n’est pas passée inaperçue. A la tête du grand fétiche des femmes, « Bàléga », Marie-Rosine Manga ne dirige pas le royaume. Mais, contrairement à ses devanciers, elle a un parcours particulier. Enseignante, fervente catholique, elle s’est finalement engagée sur la voie de la tradition, après des signes qu’elle n’a pourtant jamais réussi à décoder.
ZIGUINCHOR – Pagne noir et blanc rigoureusement noué à la poitrine. Des colliers en perle autour du cou, en bandoulière et autour deschevilles, Marie-Rosine Manga, intronisée le 26 juillet dernier comme reine du «Bàléga», le fétiche des femmes du royaume de MofEwi «terre du roi», est retournée dans son Enampore natal quelques années plus tôt. Elle cède ainsi à l’appel des sirènes.
Assise sur une natte étalée dans un couloir de sa maison nouvellement construite, à côté de sa fille Thérèse-Yolande Tendeng qui rangea sa valise, la sexagénaire n’a pourtant jamais su déceler les signes qui lui ont valu la confiance de toutes les femmes des 10 villages du royaume d’Affiledio Manga « nom du dernier roi de MofEwi ». Et ce jeudi 5 janvier coïncidant avec « Fiiyay », jour de repos chez les adeptes de la religion traditionnelle où les champs, rizières et marigots sont ainsi désertés. Marie-Rosine Manga n’est pas prête à oublier de sitôt les nuits cauchemardesques, les disparitions d’importantes sommes d’argent et la longue et mystérieuse maladie qui l’avait alitée. « Mes proches avaient même perdu espoir de me voir me relever », confie-t-elle. La série des événements qui se sont abattus sur elle depuis 2012 est, dit-on, un appel du pied du fétiche du Bàléga. A plusieurs reprises, son salaire a disparu à la sortie de la banque. « Nous ne pouvions pas comprendre cela. Comment une personne majeure comme elle, peut jeter de l’argent comme un enfant ? », a rouspété sa fille Thérése-Yolande à l’époque.
ENTREE DANS L’ENSEIGNEMENT
Marie-Rosine n’est pas une femme comme ses prédécesseurs à la tête du fétiche de Bàléga. Née en 1959 dans le village d’Enampore, autre fois rattaché à la commune de Niassya, ce membre de la famille royale sait parler, lire et écrire le français. Ayant effectué des études jusqu’en quatrième collège à Rufisque, c’est dans le village de Sélèky qu’elle obtient son admission en sixième en 1972. Mais le départ de son père Paul Manga, pour la Sierra-Leone, la contrainte à abandonner les études faute de soutien. Elle embrasse ainsi le métier de guide touristique au sein de la structure Jet tours. L’agence touristique tombe en faillite dans les années 1980 à cause de l’insécurité provoquée par la crise armée en Casamance. Ne comptant pas rester désœuvrée, Marie-Rosine se lance alors dans le commerce et la riziculture afin de subvenir à ses besoins. Elle s’établit dans le village de Djifanghor avec son époux et ses huit enfants. « C’est là-bas que je suis entrée dans l’enseignement du préscolaire, dans un établissement créé par la fédération DimbayaKagnalen. En 2011 je suis ensuite mutée à Boutoute », se souvient-elle. Son ordination comme reine du Bàléga lui confère le privilège d’accéder aux lieux et de toucher les objets sacrés de la cour royale. « Je suis la seule à pouvoir toucher le couteau sacré du roi pour les libations », affirme-t-elle avec certitude.
MISSION DE BALEGA
Dans le royaume MofEwi, selon le notable Jacques Vieux Manga, la mission des femmes du « Bàléga » est très précise. Elles contrôlent tout le terroir du royaume et interviennent quand il y a des épidémies. En effet, « nous consultons aussi un de nos bois sacrés pour prédire l’avenir et anticiper sur un éventuel danger ou épidémie. Nous soignons les malades et ceux qui bravent les interdits à tort ou à raison », explique Marie-Rosine Manga. La riziculture étant la principale activité, avant de démarrer la récolte, «la reine du Bàléga et l’assemblée des femmes se retrouvent pour des prières, invocation de bonnes récoltes, pour une éducation apaisée », ajoute également Charles Bakodia Manga, chef coutumier du royaume en charge des affaires courantes de la cour royale. Cependant, au sein du « Bàléga », tout est régulé. En saison sèche, seul le vin de palme est admis lors des rituels et en saison des pluies, c’est le vin fabriqué à base de miel communément appelé « hydromiel ».
Ici, le roi et la reine s’éloignent des activités politiques, « mais prient pour que toute personne à la tête du pays réussisse sa mission en mettant en avant l’intérêt de nos concitoyens», assure la reine de Bàléga, Marie-Rosine Manga. Celle qui pourtant est issue d’un père catholique, était très engagée au sein de l’église. Cependant, ce nouveau rôle au sein du royaume de « MofEwi » lui trace un nouveau chemin. Un chemin contraire à son catholicisme de naissance. « Je suis née dans une famille chrétienne catholique que j’ai indépendamment abandonnée, je ne dis pas que c’est avec un regret, mais c’est comme ça » ! S’en est suivi un court silence. Les yeux larmoyants, d’une voix pleine d’angoisse : «c’est ça », répète-t-elle! L’intronisation à la tête du « Bàléga » étant un processus, Marie-Rosine Manga recevra un nouveau prénom traditionnel entre février et mars prochain. Un nouveau baptême qui va totalement marquer la fin de l’ère catholique. C’est à ce moment-là, que l’appellation Marie-Rosine va disparaître pour laisser la place à un prénom traditionnel en rapport avec le « Baléga ». Commence alors l’étape du vrai « houwassène » (prière dans son fétiche) pour le bien-être et l’épanouissement des populations de tout le royaume « MofEwi ». Marie-Rosine, une reine du « Baléga » qui vivra comme une souveraine, surtout en présence d’un roi, son collaborateur.
Source : https://lesoleil.sn/basse-casamance-enampore-un-ro...