La question de l’immunité parlementaire du député Khalifa Ababacar Sall a retenu l’attention médiatique, ces derniers jours. Toutefois, à mes yeux, il serait plus pertinent de discuter de l’application de la décision n° 5/E/2017 du 14 août 2017 du Conseil constitutionnel, qui proclame les résultats définitifs des élections législatives du 30 juillet 2017 et déclare les candidats définitivement élus députés à l’Assemblée nationale.
La décision n° 5/E/2017 du 14 août 2017 du Conseil constitutionnel s’impose « aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles »
Aux termes de l’article 92 alinéa 4 de la Constitution, « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Sans m’appesantir sur les termes équivoques de cette disposition constitutionnelle, deux questions en relation avec l’article 92 alinéa 4 in fine de la Constitution me viennent à l’esprit.
La première question, qui est une question de fond, est la suivante : comment mettre en application la décision n° 5/E/2017 du 14 août 2017 du juge constitutionnel s’agissant du cas du député Khalifa Ababacar Sall?
La deuxième question- une question également de fond- est celle-ci : que se passerait-il si les pouvoirs publics (Président de la République, Gouvernement, Assemblée nationale) et les autorités juridictionnelles (aussi bien les juridictions judiciaires qu’administratives) devaient refuser d’appliquer la décision précitée du 14 août 2017 en ce qui concerne le député Khalifa Ababacar Sall, à moins de renvoyer la question aux Constituants eux-mêmes ?
Avant de poursuivre, il ne serait pas superflu de rappeler ces propos du député français Guillaume Larrivé qui méritent d’être médités :
« La justice n’est pas un pouvoir. C’est une autorité constituée par la volonté du peuple souverain, qui la délègue pour remplir impartialement la fonction de juger. Les juges ne peuvent être autonomes c’est-à-dire littéralement et étymologiquement producteurs de leurs propres lois. Ils sont les serviteurs de la loi, qui leur demande de juger impartialement.
L’impartialité est donc le cœur de l’indépendance de la justice, (souligné par nous) celle des juges jugeant en droit, à distance des parties et des partis, sans aucun parti-pris. Au point que la justice idéale doit être indépendante d’elle-même, car le bon jugement du juge doit être sans préjugé (…).
Il revient au président de la République de se hisser au-dessus de sa condition d’homme politique pour assumer pleinement la (fonction de gardien de la Constitution et la mission de garant du fonctionnement régulier des institutions que lui confie l’article 42 de la Constitution) » .
L’application de la décision du Conseil constitutionnel du 14 août 2017 emporte, à mon avis, capacité d’exercer la fonction parlementaire
1. Considérant qu’aux termes de l’article LO 153 du Code électoral, tout électeur inscrit peut être élu à l’Assemblée nationale dans les conditions et sous les seules réserves énoncées aux articles 154 et suivants du Code électoral ;
2. Considérant qu’aucune opposition ou contestation relative à l’éligibilité de Khalifa Ababacar Sall aux élections de juillet 2017 n’avait été enregistrée, à ma connaissance ;
3. Considérant que, selon l’article 156 du Code électoral, est inéligible l’individu condamné lorsque sa condamnation empêche d’une manière définitive son inscription sur une liste électorale et qu’en outre, est inéligible l’individu privé par décision judiciaire de son droit d’éligibilité « en application des lois qui autorisent cette privation » ;
4. Considérant qu’il n’existe pas une condamnation définitive de M Sall postérieure à son élection ;
5. Considérant que, selon l’article LO 158 du Code électoral, sera déchu de plein droit de son mandat de député celui dont l’inéligibilité se révélera après la proclamation des résultats et l’expiration du délai de recours ;
6. Considérant que le Conseil constitutionnel n’a pas constaté, conformément à l’article LO 194 du Code électoral, la déchéance du mandat de député de Khalifa A. Sall, suite à une requête du bureau de l’Assemblée nationale ou d’un groupe de députés ou du Président de la République par application de l’article LO 158 du Code électoral ;
7. Considérant, enfin, que l’éligibilité « c’est une … aptitude à la fonction ou au mandat que l’élection a pour but de conférer » ;
8. Convaincu que le Conseil constitutionnel, en tant que juge des élections, a contrôlé « l’aptitude juridique de chaque candidat proclamé élu à acquérir et à exercer son mandat » ; (souligné par nous)
9. Convaincu, en outre, que le Conseil constitutionnel « ne saurait statuer sur la validité d’une élection et consacrer ses résultats sans vérifier si elle a pu conférer un titre légal à l’élu » ;
10. Convaincu, enfin, qu’« en matière de contrôle des « opérations électorales », le Conseil constitutionnel (sénégalais) fait preuve de fermeté lorsqu’il contrôle l’éligibilité des candidats proclamés élus et sanctionne impitoyablement par l’annulation de leur élection les élus qui ne remplissent pas les conditions légales pour exercer leur mandat parlementaire » ;
J’estime que la décision n° 5/E/2017 du 14 août 2017 du Conseil constitutionnel confère à Khalifa Ababacar Sall un titre légal ce qui emporte capacité d’exercer la fonction parlementaire.
En cas d’avis contraire, une question demeure : quelles sont les dispositions de la Constitution, du Code électoral, du Code pénal et du Code de procédure pénale qui font obstacle à ce qu’un candidat à une élection législative déclaré définitivement élu député à l’Assemblée nationale par décision du juge des élections ne puisse jouir du titre légal qui lui est conféré par son élection ?
S’il existe des dispositions constitutionnelles et/ou législatives en vigueur qui édictent l’incapacité d’un candidat sous mandat de dépôt à acquérir la qualité de député, alors la décision du 14 août 2017 du Conseil constitutionnel devrait en toute logique être réformée.
En d’autres termes, l’inéligibilité d’un député constatée après la validation de son élection devrait entraîner l’annulation de l’élection du parlementaire concerné, ce qui reviendrait dans le présent cas à annuler partiellement les élections législatives de juillet 2017.
En résumé, on peut se demander s’il n’y a pas réellement dans le cas d’espèce matière à une question préjudicielle d’interprétation.
Par Mamadou Abdoulaye Sow,
Inspecteur du Trésor à la retraite
La décision n° 5/E/2017 du 14 août 2017 du Conseil constitutionnel s’impose « aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles »
Aux termes de l’article 92 alinéa 4 de la Constitution, « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Sans m’appesantir sur les termes équivoques de cette disposition constitutionnelle, deux questions en relation avec l’article 92 alinéa 4 in fine de la Constitution me viennent à l’esprit.
La première question, qui est une question de fond, est la suivante : comment mettre en application la décision n° 5/E/2017 du 14 août 2017 du juge constitutionnel s’agissant du cas du député Khalifa Ababacar Sall?
La deuxième question- une question également de fond- est celle-ci : que se passerait-il si les pouvoirs publics (Président de la République, Gouvernement, Assemblée nationale) et les autorités juridictionnelles (aussi bien les juridictions judiciaires qu’administratives) devaient refuser d’appliquer la décision précitée du 14 août 2017 en ce qui concerne le député Khalifa Ababacar Sall, à moins de renvoyer la question aux Constituants eux-mêmes ?
Avant de poursuivre, il ne serait pas superflu de rappeler ces propos du député français Guillaume Larrivé qui méritent d’être médités :
« La justice n’est pas un pouvoir. C’est une autorité constituée par la volonté du peuple souverain, qui la délègue pour remplir impartialement la fonction de juger. Les juges ne peuvent être autonomes c’est-à-dire littéralement et étymologiquement producteurs de leurs propres lois. Ils sont les serviteurs de la loi, qui leur demande de juger impartialement.
L’impartialité est donc le cœur de l’indépendance de la justice, (souligné par nous) celle des juges jugeant en droit, à distance des parties et des partis, sans aucun parti-pris. Au point que la justice idéale doit être indépendante d’elle-même, car le bon jugement du juge doit être sans préjugé (…).
Il revient au président de la République de se hisser au-dessus de sa condition d’homme politique pour assumer pleinement la (fonction de gardien de la Constitution et la mission de garant du fonctionnement régulier des institutions que lui confie l’article 42 de la Constitution) » .
L’application de la décision du Conseil constitutionnel du 14 août 2017 emporte, à mon avis, capacité d’exercer la fonction parlementaire
1. Considérant qu’aux termes de l’article LO 153 du Code électoral, tout électeur inscrit peut être élu à l’Assemblée nationale dans les conditions et sous les seules réserves énoncées aux articles 154 et suivants du Code électoral ;
2. Considérant qu’aucune opposition ou contestation relative à l’éligibilité de Khalifa Ababacar Sall aux élections de juillet 2017 n’avait été enregistrée, à ma connaissance ;
3. Considérant que, selon l’article 156 du Code électoral, est inéligible l’individu condamné lorsque sa condamnation empêche d’une manière définitive son inscription sur une liste électorale et qu’en outre, est inéligible l’individu privé par décision judiciaire de son droit d’éligibilité « en application des lois qui autorisent cette privation » ;
4. Considérant qu’il n’existe pas une condamnation définitive de M Sall postérieure à son élection ;
5. Considérant que, selon l’article LO 158 du Code électoral, sera déchu de plein droit de son mandat de député celui dont l’inéligibilité se révélera après la proclamation des résultats et l’expiration du délai de recours ;
6. Considérant que le Conseil constitutionnel n’a pas constaté, conformément à l’article LO 194 du Code électoral, la déchéance du mandat de député de Khalifa A. Sall, suite à une requête du bureau de l’Assemblée nationale ou d’un groupe de députés ou du Président de la République par application de l’article LO 158 du Code électoral ;
7. Considérant, enfin, que l’éligibilité « c’est une … aptitude à la fonction ou au mandat que l’élection a pour but de conférer » ;
8. Convaincu que le Conseil constitutionnel, en tant que juge des élections, a contrôlé « l’aptitude juridique de chaque candidat proclamé élu à acquérir et à exercer son mandat » ; (souligné par nous)
9. Convaincu, en outre, que le Conseil constitutionnel « ne saurait statuer sur la validité d’une élection et consacrer ses résultats sans vérifier si elle a pu conférer un titre légal à l’élu » ;
10. Convaincu, enfin, qu’« en matière de contrôle des « opérations électorales », le Conseil constitutionnel (sénégalais) fait preuve de fermeté lorsqu’il contrôle l’éligibilité des candidats proclamés élus et sanctionne impitoyablement par l’annulation de leur élection les élus qui ne remplissent pas les conditions légales pour exercer leur mandat parlementaire » ;
J’estime que la décision n° 5/E/2017 du 14 août 2017 du Conseil constitutionnel confère à Khalifa Ababacar Sall un titre légal ce qui emporte capacité d’exercer la fonction parlementaire.
En cas d’avis contraire, une question demeure : quelles sont les dispositions de la Constitution, du Code électoral, du Code pénal et du Code de procédure pénale qui font obstacle à ce qu’un candidat à une élection législative déclaré définitivement élu député à l’Assemblée nationale par décision du juge des élections ne puisse jouir du titre légal qui lui est conféré par son élection ?
S’il existe des dispositions constitutionnelles et/ou législatives en vigueur qui édictent l’incapacité d’un candidat sous mandat de dépôt à acquérir la qualité de député, alors la décision du 14 août 2017 du Conseil constitutionnel devrait en toute logique être réformée.
En d’autres termes, l’inéligibilité d’un député constatée après la validation de son élection devrait entraîner l’annulation de l’élection du parlementaire concerné, ce qui reviendrait dans le présent cas à annuler partiellement les élections législatives de juillet 2017.
En résumé, on peut se demander s’il n’y a pas réellement dans le cas d’espèce matière à une question préjudicielle d’interprétation.
Par Mamadou Abdoulaye Sow,
Inspecteur du Trésor à la retraite