Un test de « sincérité » pour la France et de «crédibilité » pour les dirigeants africains. C’est ainsi que résume l’économiste togolais Kako Nubukpo l’enjeu du passage du franc Cfa à l’Éco alors que la capitale togolaise accueille, du 26 au 28 mai, les « États généraux de l’Éco » sur le thème : « Du franc Cfa à l’Éco : quelle monnaie pour quel développement en Afrique de l’Ouest ? »
Les « États généraux de l’Éco » se sont ouverts hier à Lomé. Sous l’initiative de l’économiste togolais Kako Nubukpo, ce Forum se veut un cadre de réflexion entre universitaires sur le « fait monétaire » dans tous ses aspects, avec en toile de fond l’éternelle question de l’avenir du franc Cfa et la « douloureuse gestation » de l’Éco-Cedeao.
Prenant la parole à l’ouverture de ces « États généraux », Lionel Zinsou (ancien Premier ministre du Bénin), a résumé le sentiment de ceux que l’opinion qualifie, de façon trop simpliste, de pro-Cfa. Pourtant le banquier d’affaires n’est « pas naïf » sur l’existence de rapports de domination autour de la monnaie et que la France utilise le franc Cfa pour maintenir ses anciennes colonies sous son giron. Mais, il redoute une situation de chao monétaire que l’on connait dans certains pays africains. « Quand on regarde ce qui se passe sur le continent, on voit qu’il est possible de rater complètement sa monnaie, d’échouer à avoir un instrument monétaire efficace », dit-il, citant des exemples d’hyper inflation dépassant parfois les deux chiffres. « C’est extrêmement facile de basculer, de se retrouver dans une situation où la monnaie ne fait pas son travail. Regardez, c’est très proche de nous ! », prévient M. Zinsou. Dans ce cas de figure, il invite plutôt à « purger le passé de ce qui ne passe pas, se défaire des symboles qui cristallisent les critiques ». Pour résumer cette « hantise », le spécialiste convoque le célèbre adage qui voudrait qu’on préfère un diable qu’on connait à un ange qu’on ne connait pas.
Sur le même registre, Michel Nadim Kalife, ancien Conseiller du Président Eyadema, soutient que la monnaie est un instrument « neutre ». « C’est cela que ne comprend pas le mouvement populiste anti-Cfa, parce qu’il n’est pas au fait de la théorie monétaire », insiste ce franc-tireur du débat économique.
Des arguments loin de convaincre Ousmane Sonko. L’opposant sénégalais qui n’a pas été autorisé par la justice à se rendre à Lomé est intervenu dans le débat par visioconférence. « La monnaie est le seul instrument qu’on n’a pas transféré après 60 ans d’indépendance. C’est ce paternalisme qui a engendré l’irresponsabilité de nos élites politiques », dénonce-t-il. Pour lui, « aucune politique de développement n’est réellement possible si elle occulte le levier monétaire à côté des autres instruments de politique économique, notamment budgétaire, dans le cadre du « policy mix ». Or actuellement, nous sommes privés de ce « policy mix » parce que nous n’avons pas la possibilité de développer une politique monétaire », dit M. Sonko, invitant à recentrer le débat autour de la Cedeao et ne pas le circonscrire uniquement au franc Cfa et à l’Uemoa. Il appelle également à une « renaissance doctrinale » qui doit considérer tous les leviers budgétaires et monétaires « comme des instruments souverains de nos États devant servir à l’atteinte de nos objectifs de développement ».
Seydou KA
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PASSAGE DU CFA À L’ÉCO
Les propositions de Kako Nubukpo
Dans un ouvrage collectif publié à la veille de ces « États généraux de l’Éco », Kako Nubukpo propose à la Cedeao quatre options parmi d’autres. La première, « l’Éco, simple avatar du franc Cfa », parie sur l’élargissement progressif de l’Uemoa aux économies de la Cedeao. La deuxième option est celle d’un « Éco-réel » fondé sur la convergence réelle, celle du Pib/tête et non plus, comme dans le cas de l’Éco-Cfa, sur le respect des critères nominaux de convergence. Troisième option, « l’Éco-naira » sous la houlette d’un Nigeria piqué au vif par l’initiative francophone d’un « Éco-Cfa » en passe de se réaliser. Quatrième option : « l’Éco monnaie commune et non unique ». En effet, tandis qu’une monnaie unique est nécessairement une monnaie commune, l’inverse n’est pas forcément vrai.
Chacune de ces options a ses avantages et ses inconvénients. « Toutes les options sont sur la table », explique M. Nubukpo. Cependant, pour Ousmane Sonko, quelle que soit l’option retenue, l’Eco devrait être gérée par une Banque centrale fédérale et arrimée non pas à l’euro mais à un panier de devises. Il se montre même sceptique. « Nous considérons que c’est un projet noble, ambitieux, corrélé à l’ambition que nous avons en tant que panafricanistes. Mais, confronté à la réalité, c’est un projet vraisemblablement utopique parce que s’inspirant de l’expérience de la zone euro alors que les réalités sont différentes », déclare-t-il.
En revanche, l’opposant sénégalais, connu pour ses positions virulentes sur la relation entre la France et ses anciennes colonies, invite à « poser le débat, de façon plus sereine, des deux côtés et à apprendre à s’écouter et à se comprendre ». S. KA
Source : http://lesoleil.sn/forum-de-lome-leco-dans-tous-se...