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France : Embarquement immédiat pour Dakar

Rédigé par leral.net le Dimanche 29 Août 2010 à 14:47 | | 0 commentaire(s)|

L'idée initiale du général de Gaulle n'est pas d'attaquer Dakar de front mais de réussir par la persuasion le ralliement. Il sait qu'il va trouver face à lui le gouverneur général Boisson qualifié d'homme énergique et déterminé. Il dispose de moyens militaires importants pour maintenir l'autorité du gouvernement de Vichy parce qu'il bénéficie d'un système statique défensif dont l'efficacité est redoutable. Il y a autour de la ville un ensemble d'ouvrages fortifiés, des batteries d'artillerie, des escadrilles d'aviation, une escadre navale dont le fleuron est le croiseur « Richelieu ».


A Rabat, le drapeau de la 5e escadre est tenu par Edmond Marin la Meslée. A ses côtés le commandant Murtin;
A Rabat, le drapeau de la 5e escadre est tenu par Edmond Marin la Meslée. A ses côtés le commandant Murtin;
Le chef de la France libre ne veut rien brusquer et parie sur l'intelligence pour convaincre de la légitimité de sa démarche. Pour ce faire, il envisage d'abord un débarquement assez loin de Dakar et retient Conakry qui est la capitale de la Guinée française. Il établit un plan par lequel une colonne de soldats doit progresser vers la métropole sénégalaise en ralliant les populations et les décideurs locaux. De Gaulle veut faire tomber Dakar sans délai mais avec un soutien populaire et administratif forts. En revanche, les Britanniques soutiennent avec Churchill la manière forte. Le Premier ministre anglais est partisan de l'envoi d'une flotte puissante pour contraindre les autorités de Vichy à renoncer à leurs prétentions de maintien du pouvoir maréchaliste. Toutefois à Londres, on sait que le temps est compté. La bataille d'Angleterre et les opérations en Méditerranée interdisent d'immobiliser trop longtemps une armada au large de l'Afrique occidentale française.
Les conversations entre l'état-major britannique et le général aboutissent à la définition d'un nouveau plan. Il initie une démonstration pacifique au large du port de Dakar avec l'envoi de parlementaires porteurs d'un message du général de Gaulle au gouverneur général Boisson. On parie alors sur le fait que la concentration de navires de guerre au large composée d'un porte-avions, de deux croiseurs de bataille, de six destroyers et trois avisos de la France libre provoquera un déclic salutaire. Est-ce suffisant pour dissuader le commandement vichyste de tout baroud d'honneur ? Sur le papier, on pense que c'est jouable et qu'obtenir au moins le ralliement du bout des lèvres du gouverneur est une hypothèse sérieuse de travail. Si ce scénario échoue, Londres encourage un débarquement de vive force appuyé par les tirs nourris des bâtiments anglais. L'amiral Cunningham, commandant de la flotte britannique, est circonspect. Il n'envisage pas avec un grand enthousiasme un nouvel affrontement avec la marine française après le drame de juillet à Mers el-Kébir. En revanche, l'idée d'une opération sur Dakar excite les Français libres. Le lieutenant Jean Simon note alors : « Nous allions reprendre le combat. Cela venait conforter notre optimisme. Sans être complètement sûrs, nous nous attendions à être reçus avec des arcs de triomphe ! »
Des cours sur les constellations
L'embarquement des troupes a lieu le 31 août 1940 dans le port de Liverpool. Deux navires néerlandais sont mobilisés pour l'occasion. Il s'agit du « Pennland » et du « Westernland ». Ces bâtiments transformés à la hâte en transports de soldats sont la cible d'un violent bombardement aérien de la Luftwaffe sans qu'ils subissent de dommages. Ils prennent la mer sans tarder avec leurs équipages et les troupes de la France libre. Le plan prévoit de rallier Freetown en Sierra-Leone, un port situé bien au sud de Dakar. On compte pour cela deux semaines de mer. Les soldats ne sont pas oisifs pendant ce temps. On maintient des temps de formation et certains officiers osent même faire quelques cours particuliers à l'exemple du lieutenant Gabriel Brunet de Sairigné qui explique aux curieux le placement des étoiles et ce qu'on sait alors des différentes constellations.
L'autre préoccupation est la discrétion, ce qui n'empêche pas des choix préventifs et dissuasifs validés par le gouvernement de Vichy. Une partie de la flotte française de Toulon, la force Y, composée notamment de trois grands croiseurs « Gloire », « Montcalm » et « Georges-Leygues » appareille en direction de l'Atlantique. Tout cela n'est guère rassurant d'autant qu'un manque de coordination est identifié entre l'état-major français et son homologue anglais. Claude Hettier de Boislambert qui a joué un rôle conséquent au cours des « Trois Glorieuses » matérialisées par le ralliement du Tchad, du Cameroun et du Congo français à la fin août ne dissimule pas son inquiétude. Cet ancien guide de chasse au Kenya avant guerre, responsable des opérations destinées à amplifier le ralliement des populations de l'Afrique Occidentale française, connaît très bien la région et sait que l'état d'esprit y est très favorable aux forces vichystes.
Les moyens opérationnels des Français libres préparés pour l'action comprennent pour les forces terrestres, sous le commandement du colonel Magrin-Vernerey, le 1er bataillon de Légion étrangère, une compagnie de commandement et une compagnie de reconnaissance et d'exploitation de la Légion étrangère, une compagnie de marche, un détachement de fusiliers marins, une compagnie de chars, une section d'artillerie, une section du génie, un groupe de transports. La force navale est placée sous les ordres du capitaine de corvette Roux avec l'aviso « Savorgnan de Brazza » à bord duquel est hissé le pavillon du commandant, l'aviso « Commandant Duboc » dont le pacha est le capitaine de corvette Bourgine, l'aviso « Commandant Dominé » du lieutenant de vaisseau de Laporte-des-Vaux. Complètent le convoi, les chalutiers « Président Houduce » et « Vaillant », les transporteurs de troupes déjà cités « Pennland » et « Westernland », les cargos « Anadyr », « Casamance », « Fort-Lamy » et « Nevada ».
En ce qui concerne les forces aériennes qui sont sous le commandement du lieutenant-colonel de Marmier, le détachement avancé comprend deux « Luciole », un groupe utilisable seulement après montage de six Bleinheim, douze Lysander, deux Dewoitine et un Goéland. Parmi les services communs à toutes les forces on recense un groupe de transmissions, un pôle d'intendance, une unité du service de santé dotée de plusieurs ambulances. De Gaulle qui dresse cet inventaire prend encore le soin de rappeler : « L'opération de prise de possession de la Place et de ses défenses s'exécute rapidement et totalement mais sans provocation et en évitant les incidents de toute nature dans la mesure du possible ».
Toujours le 31 août, jour de son embarquement sur le « Westernland », le général de Gaulle adresse un télégramme à Amadou Diop, chef des Sénégalais d'Afrique Equatoriale française : « Vous remercie de votre loyalisme. Dites ma grande satisfaction aux ressortissants et anciens combattants sénégalais. Selon votre désir, je fais transmettre votre appel à vos frères du Sénégal qui eux aussi veulent rester Français. Tous en avant pour la Victoire. Vive la France immortelle ! ». Bref, le général met tous les atouts de son côté pour bénéficier d'un puissant soutien des Sénégalais en doute de la pertinence des ordres de Vichy et méfiant à l'égard des promesses qui leur sont faites. De Gaulle confie pendant son absence au vice-amiral Muselier et à M. Fontaine l'interim sur les forces et la direction des services civils.

Hervé Chabaud
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