leral.net | S'informer en temps réel

L'heure de vérité pour l'Europe


Rédigé par leral.net le Mardi 15 Juillet 2025 à 00:00 | | 0 commentaire(s)|

Il est désormais évident que l'Union européenne doit faire face à son manque de puissance militaire et de compétitivité économique. Le secrétaire américain à la défense, Pete Hegseth, a déclaré que l'Amérique n'était plus « principalement axée sur la sécurité de l'Europe ».
L'heure de vérité pour l'Europe
Le rapport  2024 de Mario Draghi  sur la compétitivité européenne a averti que l'UE devait encourager l'innovation pour maintenir sa pertinence industrielle. Il est clair que l'Europe ne peut plus se reposer sur les alliances passées et les avantages hérités du passé.

Pour relever ces défis, il faudra nouer de nouvelles alliances et développer de nouveaux avantages, en particulier dans le domaine de l'informatique quantique. Si l'on a beaucoup parlé de la capacité de l'IA à modifier l'équilibre du pouvoir mondial, la révolution quantique, plus silencieuse, promet de générer des percées tout aussi significatives dans l'industrie, la cybersécurité et la stratégie de défense. Alors que l'UE est loin derrière  la Chine et les États-Unis dans le domaine de l'IA et des semi-conducteurs avancés, elle a encore une chance d'être à la pointe des technologies quantiques. Cependant, la fenêtre se referme rapidement.

L'informatique quantique n'est pas seulement une version plus rapide de l'informatique classique, c'est une forme entièrement nouvelle  de traitement de l'information. Au lieu de s'appuyer sur un code binaire, les ordinateurs quantiques utilisent des qubits qui peuvent contenir plusieurs états à la fois, ce qui leur permet de résoudre des problèmes complexes de manière simultanée plutôt que séquentielle.

Si ces ordinateurs surpuissants ne sont pas encore arrivés à maturité, en raison de leur instabilité et de leur taux d'erreur élevé, plusieurs autres types de technologie quantique sont déjà utilisés. Les capteurs quantiques, grâce à leur remarquable précision, sont en train de remodeler les opérations militaires  et la dissuasion nucléaire. Les communications soutenues par la cryptographie quantique protègent contre les  cyberattaques  de plus en plus avancées et fréquentes  contre les infrastructures critiques  et la propriété intellectuelle. Enfin, les algorithmes quantiques permettent d'améliorer  la logistique industrielle et les simulations militaires.

Le développement de capacités quantiques permettrait à l'Europe de renforcer ses défenses. Le long du flanc oriental de l'Otan, et en particulier en Ukraine, cette informatique pourrait alimenter des systèmes de navigation qui fonctionnent même dans des environnements dépourvus de GPS, des capteurs capables de détecter  des avions et des sous-marins furtifs, et des outils de surveillance qui révèlent  les activités cachées de l'ennemi. Consciente du potentiel des technologies quantiques pour améliorer le renseignement, la surveillance et la reconnaissance, l'Agence américaine pour les projets de recherche avancée en matière de défense (Darpa) a fait part  de sa volonté de développer ces technologies. L'Europe ne doit pas être prise au dépourvu.

Du point de vue de la compétitivité, les technologies quantiques pourraient revitaliser le secteur automobile européen en difficulté, la modélisation avancée accélérant l'innovation en matière de batteries. L'informatique quantique pourrait également accroître la compétitivité énergétique du continent, en stabilisant  ses réseaux électriques à forte intensité d'énergies renouvelables, et stimuler son solide secteur pharmaceutique, en accélérant  la découverte de médicaments et en améliorant la détection précoce des maladies. Ces développements permettraient également de progresser vers les objectifs climatiques, de réduire la dépendance à l'égard des importations de combustibles fossiles et d'alléger la charge qui pèse sur les systèmes de soins de santé.

Heureusement, l'Europe se lance dans la course au quantique en position de force. Ses institutions de recherche – dont QuTech aux Pays-Bas et le Forschungszentrum Jülich en Allemagne – sont compétitives au niveau mondial. Le continent forme  plus d'ingénieurs quantiques que tout autre, et il accueille près d'un quart des entreprises de technologie quantique dans le monde et est un leader mondial dans le domaine de la détection et des communications quantiques.

L'UE a également établi un consensus politique sur l'importance stratégique des technologies quantiques. Le programme phare « Quantum Flagship », initiative de recherche et développement de la Commission dotée d'un milliard d'euros, a soutenu des entreprises commerciales comme Pasqal et IQM, qui construisent toutes deux du matériel quantique.
L'Union a également alloué des milliards d'euros à des programmes tels que l'Initiative européenne pour une infrastructure de communication quantique et l'Entreprise commune européenne pour le calcul à haute performance. Lorsqu'il s'agit d'augmenter la production de matériel quantique, la base de fabrication de précision de l'Europe – des machines allemandes à la lithographie néerlandaise – peut s'avérer avantageuse.

Mais un obstacle familier – la « vallée de la mort » qui sépare les percées des laboratoires du succès commercial – pourrait annuler ces avantages. Les jeunes pousses quantiques européennes reçoivent moins de financements privés  que leurs homologues américaines, ce qui oblige nombre d'entre elles à se délocaliser en Amérique du Nord et en Asie à la recherche de capitaux. Comparé à l'approche américaine axée sur les investissements privés et la défense, ou à la stratégie  chinoise  soutenue par l'État, le paysage fragmenté de l'UE en matière de financement et de gouvernance pourrait s'avérer mortel, en annulant la myriade d'atouts techniques de l'Union.

Pour transformer le potentiel des technologies quantiques en avantage stratégique, plusieurs principes devraient guider la politique de l'UE. Tout d'abord, en matière de R&D, l'Union devrait se concentrer sur les cas d'utilisation qui lui permettront de remporter des victoires rapides dans des secteurs traditionnels tels que les produits pharmaceutiques, l'industrie automobile et l'énergie verte. Parallèlement, une version européenne de la Darpa devrait être créée pour financer les technologies quantiques à haut risque et à double usage ayant des applications immédiates en matière de défense et de cybersécurité.

Deuxièmement, les États membres de l'UE devraient mettre en place des mesures de protection – des contrôles des exportations aux mécanismes de filtrage des investissements et à la protection de la propriété intellectuelle – pour la recherche quantique sensible qui est vulnérable  à l'espionnage ou à l'acquisition par des intérêts étrangers. Pour ce faire, l'UE pourrait être amenée à former des partenariats avec d'autres démocraties de confiance. Des alliances quantiques plus approfondies pourraient également permettre à l'Union d'avoir un impact plus important sur l'élaboration des normes mondiales, tout en réduisant  sa dépendance à l'égard des chaînes d'approvisionnement des pays adversaires.

Plus important encore, la réalisation de l'ambition quantique de l'Europe exige plus que de l'excellence technique ; elle requiert du courage politique. Pendant trop longtemps, l'Europe a assisté en spectateur à la définition des règles de la technologie émergente par les États-Unis et la Chine. L'informatique quantique offre au continent une chance rare de prendre les rênes. Mais pour la saisir, les responsables politiques européens doivent adopter une culture de prise de risque délibérée. L'issue de la course aux technologies quantiques dépendra en fin de compte de la question de savoir si l'Europe croit encore en sa capacité à diriger.
Soňa Muzikárová, ancienne économiste à la Banque centrale européenne, ancienne diplomate à l'OCDE et ancienne conseillère principale auprès du vice-ministre des affaires étrangères de la République slovaque, est chercheuse principale non résidente à l'Atlantic Council.
© Project Syndicate 1995–2025
 



Source : https://www.lejecos.com/L-heure-de-verite-pour-l-E...

La rédaction