Leral.net - S'informer en temps réel

LA CEDEAO ACCUSÉE DE COMPLAISANCE VIS-A-VIS DE FAURE GNASSINGBÉ

Rédigé par leral.net le Samedi 5 Juillet 2025 à 00:54 | | 0 commentaire(s)|

De Dakar à Lagos, en passant par Abidjan et Conakry, des organisations citoyennes se mobilisent contre le "coup de force constitutionnel" togolais. Réunies dans une coalition inédite, elles interpellent la CEDEAO sur ses responsabilités historiques

Trente-sept organisations de la société civile africaine dénoncent l'insuffisance du communiqué de la CEDEAO sur la crise togolaise. Dans une déclaration cinglante parvenue à notre rédaction, elles accusent l'institution régionale de minimiser un "coup d'État constitutionnel" et réclament des sanctions contre le régime de Faure Gnassingbé.

"Nous, organisations de la société civile togolaise et africaine soussignées, avons pris connaissance du communiqué de la CEDEAO en date du 30 juin 2025 concernant la situation au Togo.

Si nous saluons l'attention portée par l'institution régionale aux événements en cours au Togo, nous exprimons notre profonde déception face aux graves insuffisances de ce communiqué, qui ne reflète ni la complexité, ni la gravité de la crise politique, institutionnelle et sécuritaire actuelle au Togo.

En effet, depuis le début du mois de juin 2025, des manifestations sociales et politiques de grande ampleur secouent la République togolaise, en réaction à l'adoption controversée par voie parlementaire, d'une nouvelle Constitution, instituant une Vème République, sans consultation référendaire. Ce changement constitutionnel a été largement perçu par la jeunesse togolaise et la société civile, comme un coup d'État institutionnel et constitutionnel, destiné à pérenniser un pouvoir en place depuis 58 ans. Le président du Conseil des ministres a un mandat illimité et n'est plus élu démocratiquement par le peuple togolais.

Les manifestations pacifiques, principalement conduites par des jeunes, ont été réprimées violemment, occasionnant des pertes en vies humaines, des arrestations arbitraires, des atteintes aux droits fondamentaux et une restriction sévère de l'espace civique.

Des insuffisances notoires apparaissent dans le communiqué de la CEDEAO

1. Réduction de la crise à une simple tension sociale

Le communiqué omet toute référence aux causes politiques du soulèvement populaire : à savoir, l'adoption unilatérale d'une nouvelle Constitution par voie parlementaire, sans référendum ni consultation nationale. Et ce malgré les prises de positions régulières des partis politiques, de la société civile et des organisations religieuses.

2. Silence sur la légalité constitutionnelle

Aucune mention n'est faite des engagements du Togo au titre du Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance, notamment l'interdiction des révisions constitutionnelles abusives ou anticonstitutionnelles (articles 1c, 1d, 1h).

Le communiqué ne fait pas non plus référence aux dispositions, pourtant très claires de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, un instrument de l'UA visé par l'article 1h de son protocole susmentionné, notamment à ses articles 23.5, 24 et 25 relatifs aux sanctions en cas de changement anticonstitutionnel de gouvernement.

3. Absence d'appel clair à un retour à l'ordre constitutionnel

La CEDEAO se contente d'appeler à la paix, sans exiger de mesures concrètes pour restaurer la légalité démocratique, pourtant bafouée par le passage à la Vème République.

4. Manque de reconnaissance du droit à l'organisation de manifestations pacifiques et à la légitimité des citoyens togolais à résister

Le communiqué ne reconnaît pas la légitimité des manifestations citoyennes, ni les violations massives des droits humains : morts, arrestations, actes de torture, restrictions de l'espace civique. Il appelle « les deux parties à la retenue » comme si les manifestants aux mains nues utilisaient les mêmes moyens que les forces de l'ordre et ne fait aucune référence à l'usage disproportionné de la force ni à l'interdiction de l'usage des armes et du recours à des traitements cruels, inhumains et dégradants visé dans l'article 22 de son protocole susmentionné, pour la dispersion de réunions ou de manifestations non violentes.

5. Responsabilité de la CEDEAO dans cette crise sociopolitique

Avant les élections législatives de 2024, la CEDEAO a dépêché une mission d'évaluation politique au Togo en plein débat sur le projet de constitution de la Vème république. La mission s'est déroulée du 15 au 20 avril 2024, soit quelques semaines avant le scrutin du 29 avril 2024. Elle avait initialement un mandat politique d'évaluation du climat sociopolitique, mais à la suite de pressions du gouvernement togolais, elle a été recentrée officiellement en "mission exploratoire" ou d'"information" sur l'organisation du scrutin.

La CEDEAO porte pourtant une lourde responsabilité dans la crise sociopolitique actuelle au Togo. En 2017-2018, une crise majeure avait éclaté autour de la demande de retour à la constitution originelle de 1992. Lors de la 53ème session de la Conférence des chefs d'État, la CEDEAO avait défini une feuille de route incluant la révision constitutionnelle par voie parlementaire, avec l'appui d'un expert constitutionnaliste et des élections législatives. En novembre 2018, la Commission de la CEDEAO a validé le rapport de cet expert, jugé conforme aux décisions du sommet et aux pratiques ouest-africaines, et l'a transmis aux acteurs togolais. Les élections législatives ont eu lieu en décembre 2018 et l'Assemblée nationale élue a révisé la constitution en mai 2019, suivant les recommandations de l'expert, avec notamment un article 59 limitant le mandat présidentiel à deux fois cinq ans, modifiable uniquement par référendum. L'article 59 nouveau stipule que : « Le Président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être modifiée que par voie référendaire ». Cependant, l'Assemblée nationale élue en 2018, issue de cette médiation, a prolongé son mandat au-delà de la limite constitutionnelle en 2024 et changé en mars 2024, la constitution de la IVème République sans référendum, ce qui alimente la crise actuelle. L'Assemblée nationale élue en décembre 2018 à la suite de cette médiation de la CEDEAO est celle qui, après avoir voté la révision constitutionnelle de mai 2019, a prolongé son mandat hors du délai constitutionnel de cinq ans pour changer la constitution en mars 2024, sans recours à une consultation référendaire.

La responsabilité de la CEDEAO remonte même à la prise de pouvoir de M Faure GNASSINGBÉ à la suite du décès de son père en février 2005. En violation de la constitution togolaise et de son protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, la CEDEAO avait validé l'élection calamiteuse par laquelle M. Faure GNASSINGBÉ s'est maintenu au pouvoir malgré le coup d'État militaire puis constitutionnel et institutionnel et les crimes de masse commis lors de la répression de la contestation de cette élection frauduleuse.

La CEDEAO n'a jamais assuré le service après-vente des fausses promesses faites à l'opposition togolaise pour lui faire accepter l'élection frauduleuse de M. Faure Gnassingbé « pour un mandat unique de cinq ans afin de redorer le blason de son père ».

Plus de vingt (20) ans après cette promesse non tenue, les Togolais ont perdu toute confiance en la CEDEAO et risquent de ne plus accorder le moindre crédit à une médiation de l'institution sous-régionale si celle-ci ne prend pas ses responsabilités pour faire respecter ses propres textes ainsi que ceux de l'Union africaine.

Nos recommandations à la CEDEAO

1. Rectifier publiquement sa position en reconnaissant la nature institutionnelle de la crise togolaise et en appelant au retour à l'ordre constitutionnel de la IVème République et à arrêter la fuite en avant que constitue le processus électoral en cours, notamment les élections locales prévues dans le courant de ce mois de juillet 2025.

2. Mettre en œuvre ses propres protocoles, en envoyant une mission de médiation de haut niveau avec mandat de rétablissement de la légalité démocratique.

3. Suspendre le Togo des instances décisionnelles de la CEDEAO tant que le processus de réforme constitutionnelle ne respecte pas les normes démocratiques régionales.

Le peuple togolais, et en particulier sa jeunesse, attend de la CEDEAO qu'elle incarne ses principes fondateurs, au lieu de les ignorer. L'institution ne peut se contenter d'un positionnement neutre face à une rupture manifeste de l'ordre constitutionnel.

Au nom de la stabilité et de la justice démocratique en Afrique, nous appelons tous les peuples africains à rester vigilants et solidaires pour empêcher la banalisation des coups d'État et de force constitutionnels et électoraux qui sont le prélude des coups d'État militaires, seuls changements anticonstitutionnels de gouvernement objets de sanctions."

Signataires :

  1. AfricaJom Center
  2. AfricTivistes
  3. Alliance for Inclusive Development- AidAfrica- Nigeria
  4. ATTAC Togo
  5. Bénin Check
  6. Campaign for Good Governance, Sierra Leone
  7. Civil Society Legislative Advocacy Centre (CISLAC)
  8. Clic Citoyen
  9. CREA
  10. Fondation Autre Afrique
  11. Forum pour la Nation et la Démocratie (FND)
  12. Front Citoyen Togo Debout
  13. Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC)
  14. Front Populaire
  15. Geek Bénin
  16. IMD
  17. Kimpact Development Initiative (KDI), Nigeria
  18. LAD & HR
  19. Ligue Bissau Guinéenne des Droits de l'homme
  20. Lueur d'espoir
  21. Mouvement Citoyen (Sénégal)
  22. Nyonka Africa
  23. Novation Internationale
  24. Réseau National des Acteurs du Développement Durable (RENADE) pour la Guinée
  25. Synergie Togo
  26. TogoDebout-Europe
  27. TogoDebout-USA
  28. Tournons La Page
  29. Tournons La Page Bénin
  30. Tournons La Page Burundi
  31. Tournons La Page Congo
  32. Tournons La Page Côte d'Ivoire
  33. Tournons La Page Guinée
  34. Tournons La Page Tchad
  35. Tournons La Page Togo
  36. WADEMOS
  37. West African Civil Society Forum- WACSOFOSCAO

Références aux engagements régionaux ratifiés par le Togo

Protocole de la CEDEAO de 2001 (art. 1c, 1h, 2, 22, 23) : interdiction des changements anticonstitutionnels ; garantie par la CEDEAO, des droits contenus dans la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des peuples et les instruments internationaux, obligation de soumettre les réformes à un consensus national, interdiction de l'usage des armes et du recours à des traitements inhumains et dégradants dans la dispersion de réunions ou de manifestations pacifiques.

Protocole de 1999 sur la prévention des conflits (art. 25, 36, 42) : droit d'intervention en cas de menace à l'ordre constitutionnel.

Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (UA) : ratifiée par le Togo, (article 23.5, 24, 25) elle condamne et sanctionne toute modification de la Constitution qui compromet l'alternance démocratique.

Primary Section: 
Secondary Sections: 
Archive setting: 
Unique ID: 
Farid


Source : https://www.seneplus.com/politique/la-societe-civi...