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Vendredi 25 Août 2017

Les cars rapides, une institution sénégalaise en sursis


L’Afrique en villes (23). A Dakar, les célèbres minibus bariolés, jugés trop polluants et dangereux, doivent être remplacés par des véhicules flambant neufs d’ici à 2018.



« Vous allez où ? » La voix claque dans la foule. « Ouest Foire », répond-on sans savoir vraiment à qui l’on s’adresse. Un visage émerge de la cohue du carrefour. C’est Moulay, 32 ans, rabatteur pour deux lignes de minibus. Son travail ? Indiquer la direction de ses estafettes aux piétons afin de les remplir le plus vite possible. « Ouakam ! Ouakam ! », s’époumone-t-il tandis que le nom de ce quartier populaire de Dakar s’estompe dans le bruit ambiant.

Présentation de notre série L’Afrique en villes
Moulay est au service d’un groupement d’intérêt économique de « cars rapides », des minibus Renault jaune et bleu appelés « les brésiliens » en raison du patchwork criard – inscriptions islamiques, bestiaires, fleurs kitsch – qu’affiche leur carrosserie. Ces véhicules qui circulent depuis plus de quarante ans n’ont bien souvent plus que le moteur d’origine. Avec les « ndiaga ndiaye », des utilitaires blancs très populaires empruntant leur nom à un célèbre transporteur privé, ils devraient disparaître des rues de Dakar d’ici à 2018. Les uns et les autres sont jugés trop polluants et trop dangereux sur la route.
« Cercueils roulants »

Cette échéance a été fixée en 2005 lorsque Abdoulaye Wade, en plein mandat présidentiel, a lancé un grand chantier de modernisation du transport routier dans l’espoir de voir les travailleurs dakarois y perdre moins de temps. Le programme de renouvellement du parc automobile, déjà amorcé par l’interdiction d’importer des véhicules de plus de 5 ans (mesure finalement annulée par le président Macky Sall), devait aboutir au remplacement des vieux bus privés, surnommés les « cercueils roulants », par des neufs achetés par le gouvernement sénégalais à des constructeurs indien (Tata) et chinois (King Long).

Episode 22 Sur la route avec Abba Diatta, reporter-GPS dans les embouteillages de Dakar
Ainsi, tout propriétaire qui remettrait aux autorités les clés de sa guimbarde accompagnées de plusieurs millions de francs CFA se verrait attribuer en échange un véhicule flambant neuf. Mais c’était compter sans l’attachement des propriétaires à leur bétaillère. « C’est impossible de les faire disparaître, il faut beaucoup de moyens !, s’exclame Moulay. Les passagers pauvres ne peuvent pas prendre les bus Tata où les prix sont fixes, alors que dans les cars rapides, le chauffeur accepte toujours de faire un rabais ou d’emmener gratuitement », souffle-t-il alors qu’un véhicule de sa compagnie s’approche, arborant sur le pare-chocs un fier « Alhamdoulillah » en lettres capitales.


Moulay a passé le permis et projetait de devenir chauffeur. « Mais je n’ai pas l’argent pour acheter mon propre véhicule et je ne veux pas travailler pour quelqu’un », s’exaspère-t-il. A 300 francs CFA (0,45 euro) par voiture pleine, il gagne 10 000 francs CFA (environ 15 euros) par semaine. Un salaire loin d’être suffisant pour acquérir un véhicule. Avec l’offre du gouvernement, le cours des cars rapides s’est envolé, passant de 1 ou 2 millions de francs CFA à 6, voire 6,5 millions (9 900 euros) aujourd’hui.

Bilane en a dépensé 4 millions, il y a quatre ans, pour acheter un car rapide, le mettre à la casse et s’inscrire sur une liste d’attente pour un bus Tata. « C’est un investissement ! Je vais embaucher un chauffeur, un receveur, j’aurai une rente pour compléter mon salaire et je rembourserai l’emprunt en quelques années. Mais pour l’instant, il y a trop de demandes et pas assez de bus Tata », regrette cet éditeur de livres institutionnels avant de descendre près du Palais de justice. Un terrain adjacent fait office de garage à ciel ouvert où les tacots bariolés sont désossés, réparés et toujours remontés. Non loin, le quartier huppé du Plateau leur est désormais interdit à la circulation.

Les bus marron de Macky Sall

Si les autorités affirment que l’échéance de 2018 sera respectée, les usagers semblent en douter. « Les Dakarois ne vont pas lâcher les cars rapides facilement, confirme Daour Maye, un chauffeur de 28 ans. C’est une institution, l’endroit idéal pour parler de politique… même si on entend surtout ceux qui ne sont pas d’accord avec le président ! » On raconte même qu’il fut un temps où c’est dans le salon des minibus que se mesuraient les opinions politiques. « Un agent des renseignements montait à l’avant, l’autre à l’arrière, où deux banquettes se font face. Ils ouvraient un débat et la parole était à qui veut la prendre… », raconte Amayi Badji, journaliste dans un mensuel d’économie.

« La majorité des Dakarois se déplacent en transport en commun et ils y passent un temps fou ! Les dirigeants se disent tous la même chose : si tu veux leur faire plaisir, c’est simple, fais quelque chose pour les bus », souligne le journaliste. Leur levier d’action ? La Dakar Dem Dikk, une société de transport publique sur laquelle le président de la République en personne garde la main. Après son élection, Macky Sall l’a dotée de 475 bus climatisés marron clair et marron foncé… comme son parti politique. Il est loin d’être le premier à imprimer ses couleurs. Le vert du Parti socialiste habillait la compagnie durant le règne d’Abou Diouf, le bleu et le jaune durant celui d’Abdoulaye Wade. Certains arrêts de bus sont aussi assortis.

Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les embouteillages ne sont pas une calamité pour tout le monde. Place de l’Indépendance, Sylla pousse un petit stand rouge Nescafé avec une pile de gobelets au milieu de la voie et propose aux automobilistes des sachets d’eau contre une pièce de 50 francs CFA. « Plus il y a de bouchons, plus je gagne… ! », reconnaît-il. Le jeune homme âgé d’« à peu près 21, 22 ans » en vend dix à quinze par jour au milieu des gaz d’échappement. « Aujourd’hui il fait chaud, c’est bon pour les affaires ! »
Le Monde. Fr
Mame Fatou Kébé






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