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Méditations sur Laylatul Qadr (par Imam Kanté)


Rédigé par leral.net le Mercredi 13 Juin 2018 à 11:01 commentaire(s)|

A notre connaissance, il n’y a pas de divergences au sein des commentateurs du Coran en ce que le pronom « hu » de « inna anzalnahu » qui figure dans premier verset de la sourate Qadr renvoie au Coran : « Vraiment, Nous l’avons fait descendre lors de la nuit de Qadr » (Coran 97 : 1).

Par le truchement de la règle exégétique « le Coran explique le Coran », il vient qu’il s’agit bien du Coran comme c’est mentionné dans les versets suivants : « Le mois de Ramadân au cours duquel le Coran a été descendu… » (Coran 2 : 185) ; « Hâ, Mîm, par le Livre explicite ! Nous l’avons fait descendre lors d’une nuit bénie… » (Coran 44 : 1-3)

Cela étant dit, il y a eu donc un « moment » universel où il s’est passé quelque chose de mystérieux dans le laps de temps d’un crépuscule à l’aube. Pour tenter une analogie qui a toutes les limites auxquelles fait référence l’adage « comparaison n’est pas raison », c’est comme si on se disait que l’instant de la conjonction « alignement Terre-Lune-Soleil » correspond à telle heure terrestre. Dans ce cadre de pensée, nous considérons alors que cette nuit de Qadr correspond à la projection sur terre de cet « instant » où par la décision absolument souveraine de Dieu, le Coran « fait mouvement » vers la terre, c’est-à-dire l’espace-temps dans lequel vivent les humains qui en sont avec les jinns, les destinataires. Il s’est alors posé la question toute logique qui consiste à dire ceci : on sait qu’en temps historique, le Coran a été récité par le prophète (saws) tel qu’il le recevait de l’ange Djibril (paix sur lui) pendant environs 23 ans, donc comment comprendre que le Coran a été « descendu » en une seule nuit ?

Pour tenter une réponse, il convient de noter comme le font les commentateurs du Coran, qu’il est question de partir de cette vérité du texte selon laquelle lors de cette mystérieuse nuit, Dieu a décidé de la mise en mouvement du Coran à partir de la Table gardée, en haut, vers la terre. Le Coran fait référence à cette Table gardée (lawhul mahfûz) en ces termes : « C’est en vérité un Coran glorieux sur une table gardée » (Coran 65 : 21-22) Quelle est la nature de cette Table et sous quelle forme le Coran y est-il conservé ? Cela relève d’une réalité suprarationelle et non pas irrationnelle. En tout cas s’il est gardé cela indique que rien ne peut l’altérer.

C’est ainsi que principalement, deux interprétations se côtoient quant à ce qui a été descendu lors de cette nuit : une qui considère que ce sont les premiers versets révélés au prophète (saws) au mont Hira à la Mecque dont il s’agit et une autre qui soutient que c’est de tout le Coran qu’il est question. La seconde emporte notre conviction vu que comme l’indiquent certains commentateurs, il existe d’autres versets qui apportent la précision : « Hâ, Mîm, par le Livre explicite ! Nous l’avons fait descendre lors d’une nuit bénie… » (Coran 44 : 1-3) C’est le Livre en tant que tel qui est mentionné, pour en avoir une autre compréhension, il faut des arguments irréfutables qui viennent relativiser le sens obvie.

De plus, à ce sujet, le commentaire attribué à Ibn Abas connu pour être parmi les plus grands connaisseurs du commentaire coranique, est une donnée solide. En effet, il est rapporté de lui que le Coran a été descendu de la Table gardée situé en haut, vers le ciel du monde (samâ-ud dunyâ) au « lieu » appelé « baytul ‘izza » (la maison de la gloire » d’un seul trait lors de la nuit de Qadr. C’est de là-bas que Dibril (paix sur lui) l’a descendu sur le cœur du prophète (saws) graduellement en vingt-trois ans toujours dans sa pureté originelle.

Cette descente qui passe par Djiril (paix sur lui), l’ange qui apporte la révélation aux prophètes (paix sur eux) est relatée par le Coran en ces termes : « ‘Dis : tout ennemi de Djibrîl (doit savoir que) c’est lui qui l’a fait descendre sur ton cœur par la permission d’Allah pour confirmer ce qui l’a précédé, servir de guidance et annoncer l’heureuse nouvelle aux croyants’ » (Coran 2 : 97) ; dans le verset suivant, Djibrîl est appelé « Esprit fidèle » (ar-Rûh al amîn) : « Et c’est vraiment une révélation descendue du Seigneur des mondes, que l’Esprit fidèle a déposé dans ton cœur afin que tu sois de ceux qui avertissent en une langue arabe limpide » (Coran 26 : 192-195)

Par définition, la révélation (al wahyu) est une réalité mystérieuse mais une réalité quand même pour le croyant sur la base de ce qu’en dit le Coran et de ce que la communauté abrahamique croit : « Et Il n’a pas été donné à un humain qu’Allah lui parle autrement que par révélation, ou de derrière un voile, ou qu’Il [lui] envoie un messager (Ange) qui révèle, par Sa permission, ce qu’Il [Allah] veut. Il est Sublime et Sage » (Coran 2 : 51)

A notre sens, ce qui importe le plus ici, c’est de noter que durant cette nuit de Qadr s’est produit un phénomène unique, à savoir, la rencontre entre la transcendance par le truchement du Coran et le cœur pur et préparé du prophète (saws), le meilleur des humains et sceau des prophètes : « Ne t’avons-Nous pas ouvert la poitrine ? Ne t’avons-Nous pas débarrassé de ton fardeau qui pesait si lourd sur ton dos ? (Coran 94 : 1-3)

Cette mystérieuse nuit de Qadr marque l’avènement de la dernière parole adressée par Dieu aux humains et Djinns – ces derniers le recevant aussi du prophète - qui vient féconder l’histoire humaine pour le meilleur : « C’est en ce mois de Ramadan que le Coran a été descendu comme guidance pour les humains et comme preuves de la bonne direction et du discernement » (Coran 2 : 185) Rien qu’en raison de cela, son anniversaire mérite d’être accueilli dans la ferveur et la joie de la prière, du zikr, de la récitation méditée du Coran, etc.

Le mystère à jamais insondable qui entoure cette nuit de Qadr au lieu de nous rendre perplexe, devrait nous conforter dans notre posture de croyant. En effet, si nous ne pouvons rien savoir d’elle, comment y croire et si nous pouvons tout savoir d’elle, pourquoi y croire ? A travers le mystère de cette nuit, s’illustre un enjeu décisif à savoir que l’expression interrogative « wa mâ adrâka mâ laylatul qadr» (qu’est-ce qui te fera savoir ce qu’est la nuit de Qadr?) indique que la révélation vient au secours ou en supplément à notre fébrile raison pour le meilleur.

Les commentateurs nous expliquent que partout dans le Coran, il faut être très familier avec le texte pour le savoir, où il est mentionné cette expression « wa mâ adrâka », une réponse est donnée par le Coran lui-même. Dans le cas de « laylatul qadr », la réponse aux limites de la raison est donnée à travers les versets qui suivent l’expression interrogative en question.

Que peut-on alors savoir de cette nuit de Qadr de par la révélation et que peut-on en espérer ? Pour y répondre, il est utile de noter que la sourate éponyme se divise en deux parties avant et après l’expression interrogative « wa mâ adrâka » La première partie se compose de deux versets qui révèlent l’existence jusque-là inconnue de cette nuit et pose en même temps une question : « Nous l’avons fait descendre dans la nuit de Qadr », et « Qui te fera jamais savoir ce qu’est la nuit de Qadr ? » (Coran 97 : 1-2)

Donc le voile commence à se lever sur cette mystérieuse nuit, qualifiée de nuit de Qadr, sans qu’il ne soit question à cette étape de savoir à quoi renvoie le terme Qadr. C’est aussi une nuit bénie « Nous l’avons fait descendre lors d’une nuit bénie ». Il semble que c’est parce que c’est une nuit bénie « laylatin mubârakah » par Dieu d’entre les nuits de tous les 12 mois lunaires, qu’elle a été le « moment » du Qadr et de la descente du Coran. Cette nuit du Qadr est donc la même que celle lors de laquelle Dieu a décidé que le Coran fasse mouvement de la Table gardée sans que rien ne puisse l’altérer aux fins de féconder l’histoire humaine et de la conduire au meilleur « C’est en ce mois de Ramadan que le Coran a été descendu pour servir de guidance aux humains ».

Cette nuit étant dans le mois de Ramadan, chaque fois que celui-ci advient, vient aussi la nuit anniversaire de « laylatul Qadr ». Parlons à présent brièvement de ce que l’on peut comprendre du mot Qadr selon l’usage que le Coran en fait. Les commentateurs du Coran donnent différentes signification de ce mot, qui renvoie principalement à la grandeur ou aussi à la mesure au sens de quelque chose de bien réglée, bien ajustée. Les deux sens ne s’excluent pas mais la plupart des commentateurs lui donnent le sens de destinée comprise comme la nuit où Dieu arrête ou détermine des ordres et envoie les anges les mettre en œuvre.

Cette nuit est un moment où de par sa souveraineté absolue (rubûbiya), sa sagesse infinie (hikmah) et son omnipotence (Qudrah), Dieu décrète ce qu’Il décrète pour cette année, c’est-à-dire, le temps qui s’écoule entre deux nuits de Qadr. Il faut garder à l’esprit que cette idée d’un Dieu qui administre Sa création, la règle et lui fixe des équilibres traverse le Coran comme c’est mentionné dans les versets suivants : « Nous avons créé toute chose avec mesure » (Coran 54 : 49) ; « Il a soumis toute chose à un ordre » (Coran 13 : 2) ; « Celui à qui appartient la royauté des cieux et de la terre, qui ne S'est point attribué d'enfant, qui n'a point d'associé en Sa royauté et qui a créé toute chose en lui donnant ses justes proportions » (Coran 25 : 2)

Toutefois, selon la théologie musulmane, cette divine détermination des mondes n’est pas à opposer au libre arbitre humain et ne doit nullement justifier un quelconque fatalisme dans l’islam. Car Dieu règle tout en justice, et en sagesse. Les humains comme les jinns ne seront jugés que sur les domaines où s’exerce leur libre arbitre : « qu'aucune [âme] ne portera le fardeau (le péché) d'autrui, et qu'en vérité, l'homme n'obtient que [le fruit] de ses efforts; et que son effort, en vérité, lui sera présenté (le jour du Jugement). Ensuite il en sera récompensé pleinement » (Coran 53 : 38-41)

La deuxième partie de la sourate Qadr concerne la réponse à l’expression interrogative « wa mâ adrâka » qui est une question servant de transition entre la révélation révélante de l’existence d’une réalité cachée jusque-là et la description de quelques-unes de ses propriétés ou caractéristiques. Cette réponse est une manifestation de la compassion de Dieu envers ce fragile humain qui veut en savoir plus sur ces autres réalités voilées à ses sens et à sa raison et auxquelles malgré tout il croit. La réponse qui va suivre est un ensemble de données révélées qui permettent à la raison humaine acceptant de s’ouvrir à la transcendance, d’en savoir suffisamment pour susciter en lui la passion de la chercher dans l’humilité et la persévérance sans ostentation aucune.

« La nuit de la destinée vaut mieux que mille mois » (Coran 97 : 3). Se pose alors la question intéressante de savoir pourquoi la comparaison avec le mois alors qu’on aurait pu s’attendre à la nuit ? Autre question, en quoi cette nuit est-elle meilleure que 1000 mois ? Commençons à répondre par le plus simple. C’est le donné révélé qui vient en rescousse, à travers notamment un hadith, qui établit que c’est en termes de valeur cultuelle qu’il faut comprendre cette comparaison : cette nuit vaut mieux que 1000 mois d’adoration de Dieu par la prière le soir et la lutte pour la cause de Dieu le jour. Les efforts particuliers que le prophète (saws) faisait lors de la dernière décade du mois de Ramadan en termes de retraite et de réveil de sa famille, confirment que c’est dans le domaine du culte que vaut la comparaison.

L’expression « vaut mieux que mille mois » indique bien que la valeur spirituelle exacte de cette nuit en équivalents cultuels reste inconnue de nous, ce qui ne fait que stimuler encore plus notre fervente passion pour cette nuit de Qadr. Et pourquoi ne devrait-on pas la trouver si l’intention sincère et résolue de la chercher se traduit dans les veillées nocturnes notamment durant les nuits impaires de la dernière décade comme le disent les hadiths ?

En tant que croyant en l’existence de cette nuit de Qadr, nous devons croire et espérer la trouver si notre cœur, notre esprit et notre corps sont en situation de l’accueillir dans la joie et la ferveur du culte.

La réponse continue par une description d’un mouvement de masse et répétitif des anges avec à leur tête, Djirîl (paix sur lui), le plus majestueux d’entre eux et le chargé de la révélation dont l’un des surnoms dans le Coran est « Ar ruh » : « Les anges et l’Esprit descendent avec la permission de leur Seigneur avec des ordres pour toute chose » (Coran 97 : 4) Quoi de plus attendu que Djibril (paix sur lui) descende avec les autres anges chargés de la mise en œuvre de tout ce que Dieu a décrété et minutieusement réglé pour cette année ?

Certains commentateurs expliquent que considèrent que ce sont des va-et-vient incessants d’anges toute la nuit dont il s’agit qui visitent tous les croyants en train de s’adonner à la prière, à l’invocation, à la lecture méditée du Coran, au Zikr, etc.
Du crépuscule à l’aube de cette nuit, Dieu garantit la paix de ce laps de temps : « Paix elle est jusqu’au lever de l’aube » (Coran 97 : 4)

De quelle paix s’agit –il ? Peut-être de cette quiétude qui envahit les croyants en prière et aussi d’absence de conflits de quelque nature que ce soit durant cette nuit. Cela fait penser au hadith dans lequel le prophète (saws) dit avoir oublié la nuit de Qadr quand il voulut en informer l’assemblée de sa mosquée mais trouva deux musulmans en conflit !




Ahmadou Makhtar Kanté
Imam, écrivain et conférencier
Email : amakante@gmail.com
Fait à Dakar, le 13/06/18 – Ramadan 1439 H