Leral.net - S'informer en temps réel

Mesures populistes ou politiques structurelles ? À propos de la revalorisation salariale des domestiques au Sénégal

Rédigé par leral.net le Vendredi 2 Mai 2025 à 07:16 | | 0 commentaire(s)|

Le gouvernement sénégalais, à travers un arrêté du ministère du …

The post Mesures populistes ou politiques structurelles ? À propos de la revalorisation salariale des domestiques au Sénégal first appeared on Le Témoin.



Le gouvernement sénégalais, à travers un arrêté du ministère du Travail, a récemment procédé à la revalorisation des salaires minima catégoriels des employés de maison. Cette mesure, bien que techniquement fondée sur l’application du décret n°2023-1710 relatif au SMIG et au SMAG, s’inscrit politiquement dans la droite ligne des engagements programmatiques formulés par Ousmane Sonko, dans son ouvrage "Solutions", publié bien avant son accession au pouvoir.

Dans ce livre, l’actuel Premier ministre proposait « d’améliorer le niveau de rémunération des domestiques de maisons, en évaluant et en y intégrant les avantages en nature, qui sont des contreparties de leur travail, tels l’hébergement, la nourriture et autres petits avantages. » Cette intention, louable en soi, traduit une volonté de reconnaissance symbolique et économique d’un métier longtemps relégué aux marges du système de protection sociale.

Mais dans Sénégal : le système dans tous ses états (2023), j’ai tenu à alerter sur le caractère insuffisamment ambitieux de cette proposition. Elle ne s’attaque pas aux causes structurelles de la précarité des métiers domestiques. Elle semble reproduire une tendance typiquement populiste : répondre à une réalité sociale par des mesures immédiates à forte portée symbolique, mais sans bâtir les fondations d’une transformation durable du système.

Le véritable enjeu ne réside pas uniquement dans la fixation d’un seuil salarial minimum, mais dans la professionnalisation et la formalisation globale des métiers de l’informel. Cela suppose d’engager une réflexion structurelle sur l’économie domestique, sur les conditions de travail, les droits sociaux, les mécanismes de contrôle, la formation, et surtout, le pouvoir d’achat des ménages employeurs.

Sans amélioration du niveau de vie de la majorité des ménages – qui comptent au moins un fonctionnaire ou un travailleur du secteur privé –, toute hausse salariale risque de se heurter à l’incapacité de la demande. Autrement dit, augmenter les salaires des domestiques sans revaloriser ceux des petits et moyens cadres revient à déplacer le problème sans le résoudre.

C’est pourquoi je défendais, et continue de défendre, dans mes travaux, l’idée d’une “moyennisation” de la société sénégalaise, à travers :

Une revalorisation progressive des salaires des agents publics et des travailleurs du privé ;

Un soutien actif au secteur privé local et aux PME ;

Des politiques fiscales et économiques favorisant la redistribution équitable des richesses ;

Un accompagnement à la formalisation des emplois précaires, y compris à travers la régulation des agences de placement, souvent prédatrices.


J’écrivais également que des sociétés émergent aujourd’hui pour professionnaliser le gardiennage ou le travail domestique, mais elles captent l’essentiel de la valeur ajoutée sans pour autant garantir des droits sociaux solides aux employés. La chaîne reste dominée par des logiques de rente, d’exploitation et de sous-traitance déséquilibrée.

En réalité, si l’on veut faire du métier de domestique un métier « comme les autres », il faut d’abord que l’État travaille en connivence avec les acteurs sociaux pour créer une société à forte capacité de consommation, où l’offre et la demande se structurent autour de règles stables, d’un contrat de travail écrit, de cotisations sociales, et d’une protection syndicale.

Lors de la dédicace du livre Solutions à la place de l’Obélisque, j’avais été personnellement invité par Ousmane Sonko pour challenger son programme en tant que sociologue. Je n’avais pas eu le temps, ce jour-là, d’entrer en profondeur sur cette question. J’y suis donc revenu dans Sénégal : le système dans tous ses états, car le vrai débat ne porte pas sur les intentions mais sur la méthode et le cadre systémique.

En somme, la revalorisation des salaires des employés de maison est une avancée symbolique, mais si elle n’est pas adossée à une politique cohérente de reconfiguration des rapports sociaux et économiques, elle risque de générer de nouvelles tensions, voire des effets pervers (licenciements, sous-déclaration, refus d’embauche).

Le Sénégal a besoin non pas seulement de décisions spectaculaires, mais de réformes systémiques profondes pour réconcilier dignité du travail, justice sociale et efficacité économique.

Docteur Cheikh Tidiane MBAYE,
Sociologue

The post Mesures populistes ou politiques structurelles ? À propos de la revalorisation salariale des domestiques au Sénégal first appeared on Le Témoin.



Source : https://letemoin.sn/2025/05/02/mesures-populistes-...