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Mort de Ben Ali : «J’ai perdu les trois quarts de ma famille à cause de lui»

Rédigé par leral.net le Vendredi 20 Septembre 2019 à 11:34 | | 0 commentaire(s)|

De nombreux Tunisiens, dont des politiques, ont réagi après l'annonce du décès de l'ancien dictateur tunisien, jeudi, en Arabie Saoudite. Si certains le considèrent comme une figure de la Tunisie prospère, d'autres le perçoivent comme un tortionnaire.


Parti de la Tunisie le 14 janvier 2011 par avion avec la conviction de revenir rapidement, le président autocrate Zine el-Abidine Ben Ali n’est jamais revenu pour finalement mourir en exil en Arabie Saoudite, comme l’a annoncé, jeudi, l’une de ses filles sur les réseaux sociaux. Une absence physique certes, mais en Tunisie son nom est toujours resté dans les esprits et a continué d’alimenter régulièrement les controverses de ces presque neuf dernières années.

«La vie était mieux avant»

Candidate à l’élection présidentielle dont le premier tour s’est déroulé dimanche, Abir Moussi, la dirigeante du Parti destourien libre, n’a cessé de réclamer son retour sur sa terre de Tunisie. Elle a finalement obtenu 4,02  % des voix  : c’est peu mais non négligeable pour un régime renversé par le peuple. Surtout que même à Sidi Bouzid, le berceau de la révolution, des anciens protestants ont voté pour elle. «Moi, je suis un peu triste d’apprendre sa mort. Mais aujourd’hui, il a le droit au respect et à reposer chez lui», relate par téléphone Samir Abdelli, l’un de ses révolutionnaires de la première heure, qui a voté Moussi. L’homme, désabusé par la dégradation des conditions de vie dans la région malgré les promesses, n’hésite pas à affirmer que la «vie était mieux avant» à cause des problèmes économiques du pays qui compte 15,3  % de chômage.

Il y a quelques jours à peine, alors que les nouvelles de la détérioration de la santé de l’ancien autocrate se multipliaient, le Premier ministre, Youssef Chahed, également en campagne électorale, avait déclaré qu’il pourrait revenir en Tunisie afin de bénéficier des derniers soins, sans que cela ne provoque un tollé, comme cela a pu être le cas par le passé. Fervent croyant, Rached Jaïdane s’empêche d’avoir de mauvaises pensées, mais la mort de son bourreau ne sera pas, pour lui, synonyme de pardon. Emprisonné et torturé pendant treize ans, de 1993 à 2006, l’opposant islamiste, dont le procès pour obtenir réparation traîne, est amer : «J’ai perdu les trois quarts de ma famille à cause de lui. Il a personnellement empêché que j’assiste à l’enterrement de mon père. Pour moi, quelque part, c’est comme si je n’aurais jamais gain de cause, même si mes tortionnaires avouent. Il était le chef.»

«Ben Ali n’avait aucune orientation politique»

Figure d’une Tunisie prospère pour les uns, tortionnaire pour les autres, l’image de l’ancien président tunisien est devenue plastique au fil des ans. «Ben Ali n’avait aucune orientation politique. Les Tunisiens peuvent calquer ce qu’ils veulent sur lui : la corruption, mais aussi une économie stable avec une croissance [autour de 5 % par an, ndlr]», analyse Mounir Kchaou, professeur de philosophie politique à l’Université de Tunis.

A peine mort, il fait déjà l’objet d’argument de campagne en vue du second tour de l’élection présidentielle – dont la date n’est pas encore connue. Le scrutin opposera l’homme d’affaires exubérant Nabil Karoui, emprisonné pour blanchiment d’argent, au professeur de droit très conservateur, Kaïs Saïed. De quoi rejouer les glorieuses heures de la révolution pour les partisans de ce dernier. «Kaïs Saïed, malgré tout, est un retour aux idéaux de la révolution. Nabil Karoui, c’est le symbole de la corruption et du clientélisme que nous avons longtemps combattu», résume Nadhim Hanin, un jeune tunisien de gauche qui a décidé de militer pour le juriste après avoir vu qui serait son opposant.

Mathieu Galtier Correspondant à Tunis