Leral.net - S'informer en temps réel

PASTEF, PARTI DE LA CONTRADICTION

Rédigé par leral.net le Lundi 21 Juillet 2025 à 01:35 | | 0 commentaire(s)|

"Quelle frange va l'emporter ?" s'interroge Ousmane Ndiaye à propos du Pastef. La composition hétéroclite du parti, "qui mêle l'extrême gauche et les libéraux", soulève des questions sur la cohérence de sa gouvernance démocratique

(SenePlus) - Le Sénégal, longtemps présenté comme un modèle de stabilité démocratique en Afrique de l'Ouest, traverse aujourd'hui une période d'incertitude. Avec l'arrivée au pouvoir du Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité) du président Bassirou Diomaye Faye, le pays semble s'engager sur une voie qui interroge ses fondements démocratiques traditionnels.

Pour le journaliste Ousmane Ndiaye, spécialiste de l'actualité africaine et auteur de l'essai "L'Afrique contre la démocratie, mythes, déni et péril", cette évolution s'inscrit dans un mouvement continental plus large de remise en cause des valeurs démocratiques. Dans un entretien accordé au journal Le Monde, il analyse cette trajectoire préoccupante qui touche désormais le Sénégal.

"Le Pastef dessine une trajectoire singulière", observe Ousmane Ndiaye dans les colonnes du Monde. Bien qu'arrivés au pouvoir par les urnes, les dirigeants du parti "défendent un relativisme démocratique et antisystème, tout en portant une idéologie floue" qui "oscille entre souverainisme de gauche, panafricanisme et nationalisme".

Cette transformation inquiète l'analyste, qui y voit "une rupture avec la ligne historique du Sénégal". Les récentes déclarations du Premier ministre Ousmane Sonko au Burkina Faso révèlent selon lui "un positionnement pro-junte" qui marque une inflexion majeure dans la diplomatie traditionnelle du pays.

La composition hétéroclite du Pastef, "qui mêle l'extrême gauche et les libéraux", soulève également des questions sur la cohérence idéologique du mouvement. "Quelle frange va l'emporter ?", s'interroge Ndiaye, estimant qu'"il est encore un peu tôt pour le dire, mais la remise en cause des valeurs démocratiques par Ousmane Sonko et certains alliés sont inquiétants".

Cette évolution sénégalaise s'inscrit dans un contexte continental marqué par ce qu'Ousmane Ndiaye qualifie de "mythe kaki" - la tendance à confier le pouvoir à l'armée sous prétexte que les civils ont échoué. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, cette logique a trouvé un écho populaire troublant.

Selon une étude récente du groupe de réflexion Afrobarometer citée par Le Monde, "plus de la moitié des Africains expriment leur volonté de tolérer une intervention militaire lorsque les dirigeants eux-mêmes abusent du pouvoir à leur propre fin". Cette acceptation de l'autoritarisme s'appuie sur des figures mythifiées comme Thomas Sankara ou Jerry Rawlings, et sur "une opinion erronée selon laquelle les civils sont corrompus", alors que "l'armée l'est aussi comme l'ont révélé des enquêtes menées dans ces pays".

Ousmane Ndiaye développe dans son essai une critique sévère du panafricanisme contemporain, qu'il accuse d'être devenu un "fossoyeur de la démocratie". "Le panafricanisme a rompu avec ce qui a fait son cœur historique", explique-t-il au Monde. "Né d'une aspiration à la liberté et à l'égalité, il rejette désormais l'humanisme et nourrit le recul démocratique."

Cette dégradation trouve ses racines dans la mythification de dirigeants historiques dont les bilans démocratiques étaient pourtant problématiques. Thomas Sankara, "le mythe absolu" selon Ndiaye, illustre ce paradoxe : "Autant c'était un homme politique intègre, autant sa gouvernance était problématique. À son arrivée au pouvoir, il fait fermer le seul journal critique, L'Observateur et crée le quotidien national, Sidwaya."

L'analyste rappelle que "le premier édito de cet organe de la révolution intime les 'traîtres' à 'préparer leur cercueil'", et que "la violence fut aussi physique. Il y eut des pendaisons, des exécutions, des procès inéquitables."

Face aux tentatives de légitimer l'autoritarisme par des arguments culturalistes, Ousmane Ndiaye se montre catégorique : "Inventer une démocratie 'à l'africaine' est un non-sens, car les valeurs démocratiques ne sont ni occidentales, ni africaines mais universelles."

Cette position s'appuie sur une analyse historique qui contredit les idées reçues. "La colonisation a été une rupture dans la démocratisation des sociétés africaines", souligne-t-il, citant l'exemple de la République lébou au Sénégal (1795-1857) qui "a instauré le droit de vote et disposait d'un Parlement comme sous la Révolution française. C'est la colonisation qui a mis fin à cette expérience."

Cette démonstration vise à "désoccidentaliser la démocratie" en montrant que "l'aspiration à vivre dans l'égalité, à choisir ses dirigeants n'est ni blanche, ni noire. Elle a précédé la colonisation."

L'admiration pour le modèle rwandais de Paul Kagame illustre parfaitement cette dérive autoritaire que dénonce Ndiaye. "Cette admiration béate de certaines élites politiques et médiatiques pour Kagame nourrit la quête du bon dictateur", affirme-t-il dans Le Monde.

Derrière les apparences de modernité - "Internet, des rues propres et une lutte contre la corruption suffisent aujourd'hui à en faire un modèle" -, se cache une réalité plus sombre : "le pouvoir traque les opposants, commandite leur exécution, s'implique dans la guerre à l'est de la RDC. Ces dérives politiques ont été documentées par plusieurs enquêtes internationales."

Cette "sublimation de la dictature rwandaise" représente selon Ndiaye une forme de racisme, "car elle revient à dire que les Africains n'ont besoin que de manger, pas d'être libres."

Cette situation résulte selon lui d'un échec plus profond : "Nous n'avons pas fait le travail nécessaire pour sortir" de l'héritage colonial "après les indépendances. Il n'y a pas eu à quelques rares exceptions comme au Cap-Vert ou Maurice d'États démocratiques. Nous avons des États prédateurs fondés sur la gestion patrimoniale du pouvoir tout en reprenant les outils institutionnels de l'Occident."

Primary Section: 
Secondary Sections: 
Archive setting: 
Unique ID: 
Farid


Source : https://www.seneplus.com/politique/pastef-parti-de...