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Réponse à Felwine Sarr: Sénégal, une démocratie debout (Par Mamadou Ndione, DG Cosec)

En lisant la tribune intitulé « Sénégal : Une démocratie à la dérive » du Professeur Felwine Sarr de l’Université américaine de Duke, me vient à l'esprit cette phrase de l’auteur Louis Émile Clément Georges Bernanos : « Ce sont les démocrates qui font les démocraties, c'est le citoyen qui fait la république ».


Rédigé par leral.net le Jeudi 4 Mars 2021 à 15:15 | | 0 commentaire(s)|

Réponse à Felwine Sarr: Sénégal, une démocratie debout (Par Mamadou Ndione, DG Cosec)
Felwine parle de démocratie alors que le prétexte de l’affaire Adji Sarr requiert une analyse première axée sur la citoyenneté. Adji Sarr est-elle une citoyenne ?

Felwine Sarr part du problème entre Ousmane Sonko et Adji Sarr, pour prononcer une sentence dénommée « dépossessions démocratiques ». Il lance aussi un tract sous forme d'appel. Il faut dit-il « sérieusement nous atteler à construire une véritable alternative sociale et politique et refonder ainsi la nation sénégalaise ».

Même s'il reconnaît qu'il faut « trancher le contentieux Sonko et Adji Sarr par un jugement équitable », il ajoute le complément « en dehors de tout agenda politique ». Entre les deux protagonistes Adji Sarr (qui n’a pas fait l’Université Gaston Berger ou UGB) et Ousmane Sonko (sorti de l’UGB), le Professeur Felwine (qui a servi durant treize ans dans la même Université) semble n’avoir pas tranché, mais s’empresse comme certains intellectuels, de sauter sur l’occasion de cette affaire pour clouer au pilori notre régime démocratique.

N’est-ce pas là une forme de politisation déguisée par les subterfuges de la pensée, avec une dose de présomption de neutralité ?

Franchement, cette affaire oppose une citoyenne à un citoyen. Tous les deux ont les mêmes droits. On peut comprendre que les partisans débattent sur le sujet avec le prisme « pour ou contre l’idée d’un éventuel complot ? », mais venant du milieu universitaire supposé être moins dans la mêlée, c’est comme en rajouter à la volonté de cacophonie qui fait prendre l’ombre pour la proie. Entre la propagande du militant et l’autoflagellation maladive des activistes, il doit y avoir dans les temples du savoir, le temps de l’observation nécessaire pour se faire une idée objective d’une situation ayant mis « face to face », l’accusatrice et l’accusé.

Pourquoi dans cette affaire le mot d’ordre de quasiment toute l’opposition a été de multiplier par zéro, avec un machisme dangereux, la citoyenne Adji Sarr pour tirer sur le régime avec le motif générique baptisé « élimination d’opposants politiques », repris avec maladresse par le Professeur Felwine Sarr ?

A cette dernière question, la réponse est simple, l’opposition a déserté depuis belle lurette le dur champ électoral pour arpenter celui moins contraignant, de l’activisme. Ce comportement consistant à s’appuyer sur le microcosme dakarois et les réseaux sociaux sans prise sur le Sénégal profond, est le premier signe d’une dérive (démocratique ?) de l’opposition qui n’a pas compris que la politique comme toute activité, a ses côtés pile et face.

Le déficit de conscience démocratique décrié à tort ou à raison par certains, provient beaucoup plus de la désertion collective du champ de l’élévation du niveau des débats que d’une mise en exergue d’un chapelet de faits dressés pour montrer et ne montrer que les trains supposés en retard. Birago Diop nous apprend que « quand la mémoire va chercher du bois mort, elle ramène le fagot de son choix ». Dans l’effet de liste du Professeur Felwine Sarr, il n’y a hélas que le fagot de son choix unilatéral.

Ce n’est pas parce que par exemple, le Capitole a été attaqué par les partisans de Trump qu’il faut black-lister les USA du registre des démocraties sans dérives. Toutes choses étan tégales par ailleurs, ce n’est pas parce qu’il y a eu des manifestations après que le Préfet de Dakar a fait usage des pouvoirs de maintien de l’ordre à lui conférés par le décret 72-636 du 29 mai 1972 (année de naissance du Professeur Felwine !), qu’il faille dire que nous sommes dans la dégringolade anti démocratique. Tous les procès rappelés par Felwine Sarr, pour étayer la supposée « dérive », se sont déroulés conformément à notre État de droit.

Dans notre pays, il arrive que des intellectuels, faisant feu de tout bois, soldent sur la base de leurs perceptions et déceptions, leurs comptes avec ce que d’aucuns appellent « le système », en occultant de parler à charge et à décharge de nos acquis, des efforts à faire et des perspectives dans leur globalité. Certains penseurs par snobisme plus que par connaissance des ressorts de notre culture, cherchent à taper sur ce qu’ils pensent être les « imperfections » dues au pouvoir exécutif, en dédouanant totalement et entièrement le peuple et les autres espaces sociaux, à qui aucun effort de mise à niveau n’est demandé.

Parler comme le fait le Professeur Felwine Sarr « d’alternative sociale et politique », est un discours politique qui occulte le rapport à la citoyenneté dans un monde où l’activisme dans son versant radical, a des chaînes de soumission à des agendas innomés de prise de pouvoir, souvent par les voies non démocratiques de la subversion. Le parti des activistes n’existe pas, mais ils veulent des formes d’exercice populiste du pouvoir pas trop éloignées des orientations naïves, idéalistes à véhicules anarchistes de déconstruction permanente plutôt que de construction dans une approche réformiste d’amélioration continue. Mettre sur la même balance l’activisme et la légitimité issue des urnes, ne semble pas être une façon de consolider la démocratie, quand on sait qu’au-delà des « créateurs d’émotion » que nous sommes, c’est « démos » qui donne le « cratos ».

L’activisme est une forme de professionnalisation de la revendication politique sans la transparence assumée de vouloir l’exercer alors qu’en principe, le parti politique doit aller à la rencontre des électeurs avec un projet économique, social et politique qui, une fois validé donne le pouvoir. Dans le champ de la sincérité démocratique, les partis politiques en exercice de pouvoir ou en opposition, n’ont pas à rougir et ne doivent pas plier bagages devant les fléchettes des donneurs de leçons.

Il est vrai que notre société (comme toutes celles du Monde) dans sa globalité, a ses vertus et des tares qui, aussi sont dans toutes les vies y politiques et universitaires. Nos activistes, par exemple, sont de plus en plus phagocytés par des citoyens refoulés de la chose politique ou syndicale, qui n’ont pas pu trouver l’ancrage sociale nécessaire au portage de leur combat. Du haut de leur piédestal, ils s’érigent en maître à penser, préférant détourner l’avion sans monter à bord, préférant aller au champ en esquivant la salissure, préférant la position facile du donneur de leçon à celle de l’acteur, préférant usurper la paternité des conquêtes démocratiques à la place des populations.

Dans ce brouhaha, le rôle de la pensée intellectuelle est de ne pas se tromper d’agenda si tant est qu’il a choisi la voie neutre de la distribution de cartons vert, jaune et rouge à tous ; tous voulant dire pouvoir, opposition, peuple et même ceux qui, par complexe de vertu, pointent le doigt accusateur sur tout le monde sauf sur eux-mêmes.

Nos intellos préfèrent hélas montrer leur doigt ou la boue plutôt que la lune. N’en déplaise aux « fabricants de stress » par dosettes, nous avons aussi notre lune ! Cette lune sénégalaise, en dépit du pinceau partial et partiel, est déjà dans le plus de citoyenneté agissante à travers les politiques publiques d’équité et d’inclusion, notamment orientées vers le monde rural et que beaucoup ont du mal à voir parce qu’ayant le nez sur le guidon ou le café dakarois.

A l’intérieur du pays, il y a une nouvelle citoyenneté dont la table de valeur est faite d’eau, d’électricité, de routes, de pistes, de financements plus démocratiques sans garanties, d’infrastructures d’appoint orientées vers plus d’efficience, de sécurité dans un environnement sous régional instable, brefs de choses, hélas, qui ne sont pas souvent dans le menu des intellos.

Est-il juste dans la prétention du penseur de mettre le droit à l’eau et à l’électricité, loin derrière le droit d’un député de ne pas aller répondre à une convocation de la gendarmerie, alors que l’immunité parlementaire ne protège que contre les poursuites et les arrestations durant les périodes de session ? Cette question dans l’Afrique des valeurs aurait pu être réglée dans les premières heures, par le choix volontaire et sans fioritures d’une confrontation directe avec l’accusatrice devant les enquêteurs si tant est qu’on ne cherche que la vérité.

Oui à l’introspection collective pour améliorer notre démocratie par un effort collectif et collégial sur soi de chacun. Non à l’enterrement du dossier de Adji Sarr, cette citoyenne sénégalaise à qui le droit doit dire avec froideur si elle est dans la vérité ou le mensonge. Elle a parlé. Le citoyen Ousmane Sonko a pour l’instant, opté pour le silence. Ne soyons pas plus bavard que lui jusqu’à très tôt tomber dans le piège d’une politisation par excès d’intellectualisme.

Ce que le Professeur Felwine Sarr appelle sans convaincre tout le monde, la « dépossession démocratique » n’est rien face à la «dépossession citoyenne » en cours, faite sciemment ou non par une élite qui, sans mandat, s’érige en représentant attitré des citoyens. Au milieu de nos lumières, Il n’est pas facile d’éviter ce que Gustave Flaubert appelait « l'héroïsme de la pensée » qui, à ses yeux, est une forme d’égoïsme. Beaucoup d’intellectuels sont dans des formes de bulles qui font que, sans le savoir, il leur arrive d’avoir le nez sur le guidon pour raisonner et résonner de façon cartésienne, en oubliant que nous avons beaucoup à apprendre de la sagesse africaine.

Pas plus tard que le week-end dernier, le vieux Mbaye Diouf analphabète en français, nous apprenait à Bandia la réponse d’un fils devant l’équation d’un père qui demandait que ses quatre disciples soient répartis entre ses cinq fils, en veillant au moins à ce que trois d’entre eux aient chacun deux disciples. Le plus jeune des fils avait répondu ceci pour résoudre l’équation : « Donnons à chacun des deux plus âgés, deux disciples. Il en restera zéro. Nous deux, qui sommes les moins âgés, seront les disciples du troisième ». Moralité : l'humilité aide à résoudre les équations les plus complexes du Monde.

Restons humbles vis-à-vis des autres, respectueux vis-à-vis des plus âgés et exigeants vis-à-vis de nous-mêmes. Nous devons éviter dans la moulinette des amalgames d’auto flagellation sur la question démocratique de tuer la requête d’une simple citoyenne, qui a porté plainte contre un député bénéficiant de la présomption d’innocence.

Cette équation est moins compliquée que celle du partage équitable raconté par le vieux Mbaye Diouf. L’Afrique gagnerait en toute humilité, à davantage écouter ces perles (anonymes et analphabètes dans nos langues d’emprunt) au même titre que nos éminences grises pour, ne serait-ce que, rappeler que même si la demoiselle Adji Sarr est une citoyenne justiciable, qu’une démocratie vivante et robuste comme la nôtre ne devrait ignorer.






Mamadou Ndione
DG Cosec