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Sénégal – Procès Khalifa Sall : comprendre la bataille procédurale en cinq questions

Le procès du député et maire de Dakar et de ses sept coprévenus, dont les audiences ont démarré le 23 janvier, n'a pour l'instant pas abordé les questions de fond. Poursuivi notamment pour « détournement de fonds », Khalifa Sall et ses avocats sont engagés dans une bataille procédurale. Jeune Afrique fait le point sur les arguments déployés.


Rédigé par leral.net le Mercredi 31 Janvier 2018 à 13:19 | | 0 commentaire(s)|

Sénégal – Procès Khalifa Sall : comprendre la bataille procédurale en cinq questions

Depuis le 23 janvier, date de la reprise, ou plutôt du démarrage effectif, du procès de Khalifa Sall et des sept agents de la mairie, la bataille procédurale fait rage au tribunal correctionnel de Dakar . Beaucoup d’exceptions ont été soulevées par les avocats, certaines visant à annuler toute la procédure, d’autres se concentrant sur certains éléments uniquement.

Pour rappel, au centre de cette affaire se trouve la gestion de la caisse d’avance. Un rapport de l’Inspection général de l’État – dont la teneur est pour l’instant restée confidentielle à l’exception de certains extraits adressés aux avocats de la défense – a servi de base au réquisitoire de renvoi du parquet.

Khalifa Sall et ses coprévenus sont accusés de « détournement de fonds » portant sur les sommes versées à la caisse d’avance de la Ville de Dakar – de 30 millions de francs CFA par mois sur la période 2011, soit 1,8 milliard de francs CFA au total – 2015, selon l’IGE. Le parquet accuse Khalifa Sall d’avoir été au centre d’un système de fausses factures.

Autant de points du fond du dossier qui, pour l’instant, n’ont pas été abordés, les débats ayant été uniquement occupés par l’examen des exceptions soulevées par les avocats. En voici les plus saillants.
 

 

• Pourquoi la Ville veut se constituer partie civile ?

Ce fut la première bataille de ce procès. La Ville de Dakar a fait un revirement à 180°, le 15 janvier, en adoptant une délibération pour se constituer partie civile. En mars 2017, son conseil municipal avait pourtant adopté une résolution pour apporter son soutien aux mis en cause et rejeter toute constitution de partie civile de sa part. La Ville justifie ce revirement par son « devoir d’être là et de prendre part aux débats pour défendre le maire dans une affaire éminemment politique ».

L’État du Sénégal et ses avocats considèrent que cette « manœuvre » n’a qu’un seul objectif : retarder l’échéance des débats sur le fond de l’affaire. La défense et la Ville de Dakar aurait « peur d’aller au fond », selon eux. Les avocats de l’État affirment par ailleurs que la constitution de la Ville de Dakar comme partie civile, ne répond pas aux règles de droit administratif.

Le conseil municipal s’est en effet vu demander une seconde lecture de la délibération par le préfet de Dakar. Cette demande suspendrait donc de fait l’exécution de la délibération. La délibération ne devraient par ailleurs être exécutoire que passé un délai de quinze jours, arguent les avocats de l’État, qui s’appuie sur le code des collectivités locales. Des arguments qui ont trouvé un écho du côté du parquet, qui soutient par ailleurs que la volonté de la Ville de se constituer partie civile, est une reconnaissance de fait de l’existence des infractions reprochées à Khalifa Sall et ses coprévenus.

Les avocats de la défense ont pour leur part volé au secours de ceux de la Ville, et soutenu sa demande de constitution de partie civile. Au parquet qui demande à la mairie de justifier du préjudice subi, ils répondent que c’est au contraire au juge de déterminer l’existence et l’ampleur du préjudice. Un préjudice qui « peut ne pas être matériel : il peut aussi être moral », a soutenu Me Khassimou Touré.

 

• Quel est le préjudice de l’État ?

« L’État du Sénégal ne peut justifier d’aucun préjudice qu’il aurait subi dans cette affaire ! ». Tel est l’avis des avocats de la défense et de la Ville de Dakar. Ils estiment les fonds de dotation et de concours mis à la disposition des collectivités locales par l’État, ne rentrent pas dans la caisse d’avance en question. Ces fonds sont toujours versés dans le budget d’investissements de la collectivité.

A cela, l’État réplique que son apport dans le budget des collectivités locales ne se limitent pas à ces fonds. Il apporte son concours dans tous les domaines où la collectivité locale est dans l’incapacité d’honorer ses factures. Les finances de l’État sont ainsi notamment mises à contribution pour payer les factures d’électricité pour l’éclairage public.

« Nous avons tout intérêt à être ici pour défendre tous les Dakarois qui ont subi un préjudice », soutient Me Baboucar Cissé, qui ajoute que l’État « va prouver que les détournements dépassent de loin le milliard huit cent millions de francs CFA ».


• Tribunal de grande instance ou Cour des comptes ?

« Litispendance », « chose jugée » et « requalification des faits en faute de gestion ». Ce sont les trois arguments soulevés par la défense pour réclamer le dessaisissement du tribunal de Grande instance (TGI) de Dakar, qu’elle considère incompétent à juger ce dossier.

Pour Me Ciré Clédor Ly, avocat de la défense, il y a « litispendance » – situation dans laquelle deux juridictions sont saisies d’un même litige – puisque les comptes de gestion de la Ville de Dakar sont actuellement sous le coup d’une procédure devant la Cour des Comptes. Selon lui, le TGI de Dakar doit donc se dessaisir au profit de la Cour des comptes.

L’avocat ajoute que les comptes visés « ont été certifiés par la Cour des comptes ». Pour la défense, la chose a donc déjà été jugée.

Autre avocat de la défense, Me Amadou Aly Kane qualifie pour sa part les faits de « simples fautes de gestion », justiciables de la Chambre de discipline financière de la Cour des comptes. Une intervention qui a beaucoup gêné ses confrères de la défense : Me Aly Kane a en effet tout simplement démontré l’existence des infractions visées par l’accusation…

Le seul à avoir repris l’argument de la « faute de gestion » a d’ailleurs été l’agent judiciaire de l’État (AJE). Antoine Felix Diome a vivement remercié Me Kane, le qualifiant de « parquet ter » – une réponse à Me Borso Pouye, de la défense, qui avait appelé l’AJE et les avocats de l’État « parquet bis ».
 

• Des délits prescrits ?

La défense a également plaidé la prescription de certains faits, affirmant qu’à l’exception du « détournement de deniers publics » (prescription de sept ans), tous les autres faits ont dépassé la durée de prescription légale, qui est de trois ans.

L’AJE et ses avocats ont répliqué en soulignant que tous les autres chefs d’inculpation sont directement liés à l’infraction principale, le détournement de deniers publics, le délai de prescription devient donc le même pour tous les faits : sept ans.

• Khalifa Sall peut-il être remis en liberté ?

« De façon subsidiaire, nous demandons la mise en liberté provisoire de Khalifa Sall », a réclamé Me Ciré Clédor Ly, en défense. Une demande qu’il appuie par les garanties de représentation de son client.

Le doyen des juges d’instruction, Samba Sall, a fixé la caution – solidairement pour Khalifa Sall et ses coprévenus incarcérés – au montant du détournement de deniers public visé, soit 1,8 milliards FCFA.

Khalifa Sall avait déposé devant le juge d’instruction une liste de treize biens immobiliers, dont quatre sont a son nom, pour lui servir de cautionnement. Les neuf autres bien appartiennent entre autres à son épouse, son ex-épouse, son co-prévenu Mbaye Touré.

Une demande de cautionnement qui avait déjà été introduite pendant l’instruction, mais avait été rejetée, le juge d’instruction et le parquet soutenant qu’elle devait se faire en espèces et non en nature.

Autre difficulté : les documents de cautionnement, à savoir les titres de propriétés des biens listés, sont « introuvables ». Les avocats de la défense les avaient joints à leur demande et à leur appel devant la chambre d’accusation. Le cabinet du doyen des juges leur a certifié avoir tout envoyé au parquet. Le parquet, de son côté, dit n’avoir aucun document lié au cautionnement.





Jeune Afrique


Alain Lolade