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Stephen Röken, ambassadeur d’Allemagne au Sénégal: «Nos deux pays sont entrés dans un partenariat privilégié»

Rédigé par leral.net le Vendredi 16 Juillet 2021 à 17:59 | | 0 commentaire(s)|

En fin de mission, l’Ambassadeur d’Allemagne au Sénégal dresse, dans cet entretien, le bilan de quatre années d’efforts diplomatiques pour renforcer la coopération entre les deux pays, notamment sur le plan économique. Stephan Röken évoque aussi les questions d’actualité (Covid-19, la politique migratoire, les réformes soutenues par l’Allemagne pour l’amélioration de l’environnement des affaires…). L’arrivée […]

En fin de mission, l’Ambassadeur d’Allemagne au Sénégal dresse, dans cet entretien, le bilan de quatre années d’efforts diplomatiques pour renforcer la coopération entre les deux pays, notamment sur le plan économique. Stephan Röken évoque aussi les questions d’actualité (Covid-19, la politique migratoire, les réformes soutenues par l’Allemagne pour l’amélioration de l’environnement des affaires…). L’arrivée de trois nouveaux diplomates s’inscrit dans cette dynamique de consolidation et d’élargissement de la coopération sénégalo-allemand, dit-il.

Entretien réalisé par Seydou KA et Matel BOCOUM (Photo : Moussa SOW)

Quels sentiments vous animent à l’idée de savoir que vous êtes en fin de mission ?

Je suis au Sénégal depuis quatre ans. Pour nous, Dakar est l’un des meilleurs postes en Afrique. En dehors de la Téranga sénégalaise, le climat politique et social, les connexions avec les autres pays, par voie aérienne, constituent des atouts importants. Je me réjouis particulièrement du fait que les relations entre le Sénégal et l’Allemagne se soient intensifiées, ces quatre dernières années notamment après la visite de la chancelière allemande, Angela Merkel, en août 2018.

Quel est l’état de la coopération entre les deux pays ?

Le Sénégal et l’Allemagne sont entrés dans un partenariat privilégié. Le Sénégal est l’un de nos plus grands partenaires. Les rapports se sont consolidés ces quatre dernières années comme je l’ai évoqué tantôt. Le soutien financier de l’Allemagne, qui était de 22 milliards de FCfa en 2018, est passé à 115 milliards de FCfa en 2020. L’Allemagne et le Sénégal sont aussi engagés aux côtés du Mali dans la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies (Minusma). Nous poursuivons aussi nos échanges sur la situation en Afrique occidentale et cela revêt un caractère important pour nous. Nous commençons à remarquer un intérêt croissant des entreprises allemandes pour le Sénégal. Nous comptons également construire un nouveau siège de l’institut culturel Goethe, à côté du musée Léopold Sédar Senghor. Ce sera un symbole fort de l’intensification de la coopération bilatérale.

Y a-t-il de nouveaux axes de coopération entre les deux pays ?

Notre ambassade va effectivement se renforcer avec l’arrivée de trois nouveaux diplomates, en l’occurrence un attaché militaire, un conseiller économique et un diplomate supplémentaire au service des «visas». Cela permettra d’amplifier le partenariat entre nos deux gouvernements, d’accroître les réseaux et d’accompagner tous les programmes lancés dans ce sens. Bref, de donner un nouvel élan à la coopération entre les deux pays.

Sur le plan économique, un nouveau tournant a été opéré avec la signature du «Compact with Africa». Quel bilan pouvez-vous nous faire après deux ans de mise en œuvre ?

Le «Compact with Africa» est une initiative du Gouvernement allemand dans le cadre du G20. Grâce à ce partenariat, nous souhaitons encourager les réformes au Sénégal. L’idée est de renforcer le secteur privé sénégalais et de faire du Sénégal une place plus attractive pour les investisseurs étrangers. C’est un travail qui n’est pas facile. Nous avons estimé qu’il faut créer les conditions nécessaires pour les attirer. La crise sanitaire a eu des répercussions sur la mise en œuvre de certains programmes. Il n’y avait pas beaucoup d’échanges et de mobilité. Nous espérons que les voyages des hommes d’affaires vont reprendre dans les mois à venir. La visite du ministre fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement, Gerd Müller, qui s’inscrit dans le cadre du «Compact with Africa», ouvre de nouvelles perspectives. Il a annoncé un soutien de 20 millions d’euros, soit 30 milliards de FCfa pour soutenir la volonté du Sénégal de produire des vaccins. L’initiative est salutaire. À cause de l’ampleur de la pandémie, il n’est pas facile de produire et de fournir des vaccins aux pays voisins. C’est la raison pour laquelle nous sommes très heureux d’avoir pu collaborer avec d’autres partenaires comme la Banque européenne d’investissement, l’Agence française de développement, entre autres, pour matérialiser ce projet. En octroyant un soutien financier et technique, l’Allemagne tient à ce que ce projet soit un succès.

L’Allemagne est, par excellence, le pays des Pme. Qu’est-ce que les Pme allemandes peuvent apporter au secteur privé sénégalais ?

Les Petites et moyennes entreprises (Pme) sont la colonne vertébrale de l’économie allemande. Bien évidemment, les Pme allemandes évitent d’investir à perte. Elles étudient le marché au préalable et explorent les pistes avec beaucoup de prudence. Mais, il faut reconnaître que des partenariats avec les Pme sont susceptibles de favoriser des investissements et la création d’emplois pour les Sénégalais. Elles sont également disposées à accompagner le Sénégal dans sa politique de formation professionnelle.

Pensez-vous que l’environnement des affaires au Sénégal soit favorable à l’investissement allemand ?

Les nombreuses réformes entreprises, ces dernières années, ont fait du Sénégal une place de plus en plus attractive pour les investisseurs. La compétition est rude entre différents pays, mais c’est tout un processus. Nous encourageons les réformes et avons décidé de soutenir les efforts du Sénégal au niveau de quatre pôles : le foncier, l’emploi, l’accès au financement pour les Pme et la formation professionnelle, en vue d’en faire l’un des pays les plus attractifs.

Traditionnellement, les accords ont porté sur les énergies renouvelables. Quels sont les autres secteurs qui intéressent les entreprises allemandes au Sénégal ?

Les axes d’intervention de nos entreprises continuent à toucher le secteur des énergies, notamment les énergies renouvelables, mais ils portent aussi sur d’autres secteurs comme le métal. Je ne peux pas dire qu’il y a des engagements concrets, mais le fait qu’une entreprise allemande ait gagné l’appel d’offre international pour le projet de dépollution de la baie de Hann peut marquer un important déclic. Cela peut encourager d’autres entreprises allemandes à s’intéresser au marché sénégalais.

Une nouvelle loi d’immigration a été adoptée par votre pays. Quelles sont les opportunités qui s’offrent au Sénégal ?

Dans la politique migratoire, de grands changements ont été opérés. C’est la première fois que l’Allemagne ouvre son marché du travail aux travailleurs qualifiés. Cette politique crée des opportunités d’emploi, de formation professionnelle et des possibilités d’émigrer légalement. Cependant, je dois dire que ce n’est pas facile, car l’obtention d’un emploi en Allemagne nécessite une qualification, mais aussi une bonne maîtrise de la langue allemande. C’est un critère déterminant dans plusieurs secteurs d’activité. Au Sénégal, l’institut culturel «Goethe» dispense des cours de langue. Vu que c’est la première fois que l’Allemagne ouvre son marché du travail, ce sont de nouvelles perspectives qui s’offrent aux Sénégalais qui doivent les étudier.

Parlant de la politique migratoire, l’Allemagne a initié, à travers le Giz, le programme «Réussir au Sénégal». Comment jugez-vous la mise en œuvre ?

C’est un important programme qu’on peut intégrer dans notre politique migratoire. Car, nous nous sommes rendu compte que les Sénégalais ne connaissent pas beaucoup de choses sur l’Allemagne. Ce programme a été conçu dans l’objectif de promouvoir, entre autres, la formation professionnelle, en particulier, dans le domaine des énergies renouvelables et l’entrepreneuriat afin d’offrir aux jeunes des possibilités de réussir ici, parce qu’ils y croient. Nous leur apportons un soutien pour développer des compétences entrepreneuriales.

Concernant la Covid-19, il est reproché aux pays riches de pratiquer un nationalisme vaccinal et d’agiter maintenant l’idée d’un passeport vaccinal. Peut-on s’attendre à ce que l’Europe fasse preuve de plus de solidarité vis-à-vis de l’Afrique ?

Vos soucis ont été exprimés par le Chef de l’État, Macky Sall, lors de ses interventions sur la scène internationale. Vous avez raison, il faut combattre la maladie sur le plan international. Vous dénoncez un égoïsme de certains pays européens en ce qui concerne la vaccination. Ce qu’il faut comprendre, si je prends l’exemple de l’Allemagne, c’est que la demande est forte chez nous. Notre population vieillissante dépasse de loin celle du Sénégal qui a une démographie normale. Certes, le Sénégal a enregistré un nombre important de décès avec environ 1.200, mais nous en avons eu presque cent fois plus avec 91.000 décès. Nous avons plus de 4,5 millions de personnes âgées de 80 ans et plus. Le pourcentage est moindre au Sénégal. Il faut souligner qu’un gouvernement est obligé de protéger sa population et qu’il existe une grande pression interne dans notre société pour protéger cette partie de la population. C’est pourquoi nous gardons une grande partie de la production pour elle. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’Allemagne a décidé de soutenir l’initiative Covax. Dès l’automne de cette année, l’Allemagne va offrir des vaccins à d’autres pays.

Le Sénégal fera-t-il partie des pays bénéficiaires ?

30 millions de doses vaccins seront offertes par l´Allemagne d´ici la fin de l´année, la majeure partie à l´initiative Covax. Les pays qui bénéficieront de ces dons n´ont pas été encore déterminés.

L’Allemagne est-elle favorable à la levée des brevets pour la production de vaccins comme le réclament certains pays du Sud ?

L’Allemagne n’est pas favorable à cette idée. Nous pensons que les problèmes sont liés aux restrictions de la production. Ce n’est pas le cas pour des licences et la propriété intellectuelle. C’est pourquoi nous soutenons l’idée de produire les vaccins ici. Nous demandons à tous les pays de lever toutes les limitations des exportations des produits nécessaires à la production des vaccins. La situation de propriété intellectuelle a montré que face au défi de la pandémie de Covid-19, une multitude de vaccins a été développée en un temps record.

Que pensez-vous du nouveau code électoral en gestation au Sénégal ?

Je trouve normal qu’il y ait, dans une démocratie, des discussions et des divergences de vue. C’est normal. Le Sénégal a une longue tradition de démocratie. C’est bien qu’on ait institué ce cadre d’échanges. Les Sénégalais ont toujours trouvé des consensus sur les questions d’intérêt national. Ce qui m’a marqué, c’est l’élection des maires au suffrage direct universel. C’est une avancée importante qui impactera la politique de décentralisation. Elle va créer une proximité entre le Maire et les populations. Leurs rapports seront plus directs***.

Le Sénégal reste une vitrine de la démocratie, à votre avis ?

Je suis convaincu que ce qui est nécessaire dans une situation préélectorale, c’est que chaque institution joue son rôle, le Gouvernement, le Parlement, la Justice, les Médias, c’est nécessaire pour la vitalité de la démocratie. Les positions divergentes font partie de la vie politique et de la démocratie. Ce qu’il faut, c’est le respect des lois et des règles du jeu démocratique par tous les acteurs.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant votre mission au Sénégal ?

C’est le grand défi qui interpelle chaque pays africain concernant l’employabilité des jeunes. Les attentes sont fortes. Cette thématique est au cœur des discussions. Il n’y a pas une panacée, il faut créer les emplois à travers le secteur privé. Nous avons les mêmes problèmes en Allemagne dans certaines régions. Il faut concentrer tous nos efforts dans la création d’emplois, mais aussi pour rendre le secteur privé plus dynamique.

Est-ce que l’aide de l’Allemagne est conditionnée au respect d’un certain nombre de principes ? Si oui quels sont ces principes ?

Je pense qu’il faut définir ce que c’est une condition d’abord. On a choisi le Sénégal comme partenaire privilégié. Nous l’avons choisi d’abord pour le rôle de stabilisateur qu’il joue dans la sous-région, pour la vitalité de sa démocratie, sa politique sur les droits de l’Homme. C’est ce qui est à la base de notre coopération. Cela ne veut pas dire que nous sommes d’accord à 100% par rapport à toutes ses orientations. Cela veut juste dire que la politique économique et politique du Sénégal le place sur une bonne trajectoire. C’est la raison pour laquelle on a soutenu les réformes du Sénégal. Ce sont des critères qui ont prévalu et non des conditions. Je suis irrité d’entendre que des pays occidentaux cherchent à imposer une stratégie dans des pays en voie de développement sur des sujets de société. Le Sénégal est un pays souverain, un grand pays.



Source : http://lesoleil.sn/stephen-roken-ambassadeur-dalle...