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CE QU’ÊTRE VILLAGEOIS(E) POUR MOI VEUT DIRE

Rédigé par leral.net le Dimanche 25 Mai 2025 à 01:27 | | 0 commentaire(s)|

Je m’appelle Odome Angone, je suis une villageoise née en pays fang, ngone Yendone, mone-ngone Essa-nvak, devenue universitaire, citoyenne gabonaise de nationalité espagnole, et ce n’est pas incompatible.

 Je suis une villageoise née en pays fang, devenue universitaire (pour faire face à l’extractivisme cognitif), citoyenne gabonaise de nationalité espagnole.
Rembobinons :
Hier soir, pendant un moment d’échanges avec des collègues venus à Dakar pour notre école d’été décoloniale SIRA2, une conversation m’a poussé à décliner ma trajectoire personnelle, notamment la notion d’appartenance telle que je la vis et la pratique au quotidien.
Je dis souvent que je suis une villageoise en incursion à l’université. Je suis devenue enseignante-chercheuse pour plusieurs raisons :
- Par devoir de loyauté et dette communautaire pour honorer la lignée de femmes grâce à qui je dois le souffle. Je suis la 1ere femme de ma lignée de femmes à avoir brisé le plafond de verre des études universitaires, et pour rendre hommage à ma mère, à mes grands-mères, à mes aïeules, j’ai décidé d’aller jusqu’au bout.
- Maitriser mon propre narratif avec des outils endogènes
- En finir avec le faux complexe d’infériorité face à l’Occident et l’héritage colonial des diplômes universitaires
- Transmettre à la génération de ma fille et de mes nièces un capital social et culturel qui leur permettra de maitriser les codes pernicieux d’un monde élitiste et snobinard…
Je résiste aux secousses du sexisme, du racisme et du paternalisme à l’université pour faire bouger les lignes.

Etre une femme africaine universitaire peut sembler insignifiant pour ceux qui ignorent tout des plafonds de verre qui parsèment notre chemin.
Etre une femme africaine universitaire c’est devoir apprendre à recevoir des coups bas tout en ayant les outils intellectuels pour relativiser, anticiper, réagir de façon subtile sans baisser les bras. 

Je résiste dans ce métier, parce qu’il me donne une illusion de liberté. L’on peut y gravir des échelons sans le quitus d’un quidam ; se déployer aux quatre coins de la planète grâce à l’usage à bon escient de sa matière grise. Cela me permet de résister et de me réinventer. Le réseau que l’on y tisse dépend de la créativité de soi.

LES BINATIONAUX, CES APATRIDES À GÉOMÉTRIE VARIABLE
Hors du portail de l’université, je me présente très souvent aussi comme une citoyenne gabonaise de nationalité espagnole. Je suis devenue espagnole littéralement sur « concours de circonstance ». J’utilise le terme « concours » parce que les formalités qui entourent le processus de naturalisation sont dignes d’un parcours herculéen fait d’examens (tests de langue et de culture générale) et de bureaucratie qui écrasent les corps de ceux qui en font la démarche.
Lorsque je dis que je suis citoyenne gabonaise, je reconnais un lien ombilical auquel je ne peux pas me soustraire, que nul ne peut me contester sauf à être de mauvaise foi. 

Lorsque je dis que je suis citoyenne gabonaise, je fais référence à un territoire politique où sont enterrés mes ancêtres, mon placenta, lieu d’où je peux remonter mon arbre généalogique, là où je peux avoir l’illusion de vociférer sans que l’on ne s’avise à me dire : « rentre chez toi ! », là où je peux interpeller d’aucuns sans fléchir, là où je peux exiger au nom d’un droit du sol acquis par les hasards de l’histoire coloniale (oui, je reste très critique vis-à-vis du nationalisme et de l’intangibilité des frontières africaines).
Par-dessus-tout, je me réclame villageoise par conviction. Si je le pouvais, je vivrai littéralement au village. Un jour…

Le village, mon village, est le seul endroit au monde où  je ne joue aucun rôle. Où je ne cherche pas à vernir mes rapports sociaux par peur de ne pas vexer ou de déplaire.
Au village, je vis sans m’encombrer du jeu des étiquettes et du paradigme des hiérarchies.
Au village, je peux me lever le matin, avec ma pâte d’arachide et mon manioc en main sans façon, peu m’importe.
Au village, je suis face à mon miroir intérieur, dans le pays de mon enfance.
Au village, personne ne sait vraiment ce qu’être enseignant-chercheur veut dire. Or c’est précisément aussi au village que je vais puiser la matière première de mes travaux, là où mon regard sur la science s’en trouve renouveler.
Au village, nul ne me demandera « d’où viens-tu ? ». Bien au contraire, c’est au village que je me reconnecte à l’essentiel, en guise d’autocritique et d’introspection continue.
C’est au village que je retrouve le sens véritable de la vie, où je me reconnecte à la base (dans tous les sens du terme).

Au village, je parle enfin la langue de mes entrailles, le fang. En fang, je n’ai plus besoin de traduire mes émotions par des « à peu-près linguistiques » dans une autre langue que je ne maitrise jamais assez.
Le fang est une langue très très riche. Pour une seule action on peut avoir un trésor d’expressions qui décrivent de façon poétique ce que l’on veut concrètement dire.

Le fang est aussi une langue qui s’adapte aux exigences de la dite « modernité ».
Le fang est une langue qui me permet de comprendre que l’éloquence est une rhétorique du quotidien.

Le fang est la langue qui me permet de faire lien social, de briser des frontières, d’embrasser divers modes de vie, de jouer avec les mots, de comprendre le sens consubstantiel de ce que la confiance en soi veut dire. C’est pourquoi j’ai besoin d’aller au village, pour me requinquer, pour ne pas perdre pied, pour affronter les tempêtes, pour faire face. Aller au village pour moi relève d’une démarche thérapeutique qui très souvent porte des fruits.
Parce qu’il n’y a pas d’arbre sans racines, point d’appartenance sans ancrage, être fang est pour moi un état d’esprit, un mindset qui me montre la voie.

Le Mvet-oyeng est le 1er outil de développement personnel en pays fang. Il rappelle aux membres de la communauté que nous sommes issus d’une longue lignée de héros et de héroïnes n’ayant jamais baissé les bras face à l’adversité. La théorie de l’immortalité qui s’y dégage souligne la règle des dualités qui se complètent, s’affrontent quelque fois pour se recréer. Les combats dans le Mvet disent que la contradiction est vitale, elle nous évite de nous complaire dans l’indolence de l’inertie et le piège des prêts à penser.

Je m’appelle Odome Angone, je suis une villageoise née en pays fang, ngone Yendone, mone-ngone Essa-nvak, devenue universitaire, citoyenne gabonaise de nationalité espagnole, et ce n’est pas incompatible.

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Fred


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