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Dr. Bakary Samb: «La disparation de Déby sera ressentie sur les plans politique, militaire et sécuritaire»

Rédigé par leral.net le Mercredi 21 Avril 2021 à 17:48 | | 0 commentaire(s)|

Avec la disparation du Président tchadien Idriss Deby Itno, Dr Bakary Samb, de Timbuktu Institute, que nous avons joint depuis son bureau de Bamako, estime qu’il y a plusieurs inquiétudes qui devront pousser à la réflexion sur le devenir de la situation géostratégique dans la région. Quelles sont les conséquences de la mort d’Idriss Deby […]

Avec la disparation du Président tchadien Idriss Deby Itno, Dr Bakary Samb, de Timbuktu Institute, que nous avons joint depuis son bureau de Bamako, estime qu’il y a plusieurs inquiétudes qui devront pousser à la réflexion sur le devenir de la situation géostratégique dans la région.

Quelles sont les conséquences de la mort d’Idriss Deby Itno pour le Tchad, un pays instable qu’il a dirigé pendant une trentaine d’années ?

Le Tchad a été un continium du champ libyen et c’est un pays qui a constitué, ces dernières années, un verrou par rapport au débordement des situations en Libye, en République centrafricaine et au Soudan. C’est un pays qui a été tenu de main de fer par Idriss Deby, avec son groupe ethnique les Zagawa qui constituent l’essentiel de sa garde rapprochée et qui détenaient l’essentiel du pouvoir. Aujourd’hui, sa disparation a un double effet. Sur le plan interne, il y a des risques d’instabilité certains, malgré l’entêtement des militaires et la rapidité avec laquelle son fils a été mis à la tête de la transition. Il y a aussi des risques sur le plan sahélien si on tient en compte le rôle et l’engagement du Tchad dans la lutte contre le terrorisme, notamment dans les dispositifs « Serval » et « Barkhane ». Le fils de Déby lui-même était sur le théâtre des opérations, plus précisément dans le Liptako Gourma. C’est une grande équation qui se pose à la communauté internationale dans la lutte contre le terrorisme, la France en premier lieu. Pour Paris, le maintien des forces françaises dans le Sahel va se poser avec l’approche de la présidentielle et un Macron qui hésite entre un retrait et un allègement des dispositifs. Le Président français comptait beaucoup sur l’africanisation des contingents et dans ce projet, le Tchad avait un rôle central. Aujourd’hui, ce sont plusieurs inquiétudes qui sont là et qui devront nous pousser à la réflexion sur le devenir de la situation géostratégique dans la région.

Si le Tchad a été une force militaire régionale, c’est surtout grâce à son Maréchal. Avec sa disparation, quelles sont les perspectives pour le Sahel ?

Je crois qu’inévitablement, on s’achemine vers une nouvelle ère. Déby bénéficiait du soutien des partenaires internationaux, au regard de son rôle dans la lutte contre le terrorisme où l’engagement des forces tchadiennes constitue une garantie de sécurité pour certains pays. Je pense particulièrement au Mali, au Niger et au Burkina. Il y aura certainement une redistribution des cartes sur le plan géopolitique. Le Niger vient de sortir d’une transition politique douce mais avec des menaces et des vulnérabilités. Le Mali est dans une situation de transition où la junte, arrivée au pouvoir, était constituée, pour l’essentiel, de forces spéciales qui étaient destinées à combattre le terrorisme et qui sont maintenant dans le fauteuil douillet du Palais de Koulouba. Ceci laisse présager un abandon de points stratégiques et essentiels sur lesquels on avait besoin de la présence du Tchad et de son leadership sur le plan militaire. Autre chose, sur le plan militaire, le Tchad préside le G5 Sahel. D’ailleurs, le Président Macky Sall avait été invité au Sommet de N’Djamena. Ce, après une longue absence dans ce cadre régional de concertation. Les liens entre le Sénégal et le G5 Sahel commençaient à connaitre une avancée significative, notamment avec le geste du Président Macky Sall qui a offert la somme d’un milliard de FCfa pour la lutte contre le terrorisme ; ce qui pousse à réfléchir au renforcement de cadres sous-régionaux œuvrant dans ce sens, sachant que cela bouge dans l’ouest du Mali. Donc, dans l’est du Sénégal. Je crois que c’est un moment crucial où les cartes se redessinent et où on va véritablement vers une nouvelle géopolitique du Sahel eu égard aux circonstances aussi bien régionales que celles liées aux partenaires internationaux, dont la France en premier lieu qui s’achemine vers une présidentielle cruciale, surtout concernant la présence des forces française au Sahel.

Idriss Déby Itno était, sans doute, le plus fidèle allié militaire de la France dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Que veut dire, pour Paris, la perte de cet allié stratégique ?

C’était un allié très important, un pivot capital dans la stratégie de Paris et de la communauté internationale dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Paris aussi était dans une forme de statisme par rapport à l’évolution au Tchad parce que Deby était un allié à ne pas lâcher. Maintenant quel sera son positionnement sur la transition qui, à mon avis, reste assez fragile si l’on sait que les autres tribus et composantes vont commencer à remettre en question la légitimité du fils de Déby et que les Zagawas sont restés 30 ans au pouvoir, sans partage ? Dans ce bloc ethnico-culturel qu’on appelle les Zagawas, on commence à avoir des déchirures, sachant que lorsque cette rébellion du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact) était à l’approche de la région du Kanem, certains éléments zagawas commençaient à se désolidariser. C’est une situation assez trouble, où il n’y a pas encore une lecture claire et qui mérite, véritablement, d’être surveillée de près. Pour le moment, les jeux sont troubles et nul ne sait vers quel horizon ira le Tchad. Dans tous les cas, le Sahel ne sortira pas indemne de cette situation et l’impact de la disparation de Déby sera ressenti sur les plans politique, militaire et sécuritaire. Une nouvelle géopolitique va donc se dessiner.

Un Comité dirigé par Déby fils, en l’occurrence Mahamat Déby Itno, a été mis sur pied. Que pouvez-vous dire sur cette structure ?

C’est la structure militaire qui a régné au Tchad ces 30 dernières années et essaie de maintenir son positionnement en cherchant la légitimité, de fait, du fils de Déby mais aussi de fidéliser certains membres de la tribu zagawa qui, je crois, est un peu contestée aujourd’hui. Est-ce qu’il n’y aura pas de fissures dans l’appareil militaire en tant que tel ? La classe politique est assez affaiblie et l’opposition tchadienne ne s’exprimait qu’à l’étranger. Est-ce qu’il y a une véritable société civile tchadienne qui pourra faire face à cela ? Ce qui est clair, c’est que le fils de Déby n’aura pas la même légitimité que son père. Il n’aura pas, peut-être, les mêmes appuis malgré les résultats des élections que son père venait de remporter. Je crois que tout se jouera au sein de l’appareil militaire, aux capacités de Déby fils, à la nomenclature militaire majoritairement zagawa à conserver le pouvoir et à résister aux assauts de toutes parts qui ne manqueront pas.

Déby, vous l’avez dit, a été un verrou contre le terrorisme et le Tchad une des principales forces du G5 Sahel. Est-ce que sa mort signifie que les terroristes auront plus de pouvoir d’actions ?

Actuellement, le G5 Sahel est sous présidence tchadienne. Cette force, jusqu’à présent, n’est pas opérationnelle par manque de moyens, malgré la promesse de la communauté internationale et les conférences qui se multiplient. C’est vrai que le Mali est préoccupé par la situation interne, le Niger sort juste d’une alternance politique, le Burkina a connu une faillite- même de la gestion sécuritaire avec la privatisation de la sécurité avec le « Koglowégos »-, la Mauritanie assez loin du cœur battant du Sahel et de l’épicentre malien. Je ne vois donc pas, aujourd’hui, une alternative assez rapide qui se mettra en place. Peut-être que le Tchad et les nouvelles autorités de N’Djamena vont appuyer leur quête de légitimité internationale dans la poursuite des efforts contre le terrorisme. Cela leur vaudra un soutien de la communauté internationale comme étant un garant de la stabilité de la région. Il n’est pas à exclure que les nouvelles autorités jouent à fond cette carte parce que c’est le seul gage de légitimité sur le plan international et la seule possibilité d’espérer un soutien international face aux pressions internes et aux troubles sociaux qui ne manqueront pas.

Propos recueillis par Aly DIOUF



Source : http://lesoleil.sn/dr-bakary-samb-la-disparation-d...