Lorsqu’il parle, la voix de Youssou Ndour reste chantante. Lorsqu’il se défait du boubou bleu des concerts pour endosser costume noir et chemise blanche, ses mains restent dansantes.
L’artiste sénégalais est un caméléon: ministre et patron de presse, il n’en reste pas moins le maître incontesté du mbalax, ce rythme typiquement dakarois qui a séduit les Sénégalais avant de conquérir le public aux quatre coins du monde.
Youssou Ndour a la poignée de main chaleureuse. Il glisse quelques plaisanteries et prend le temps des politesses avant d’entrer dans le vif du sujet en réajustant ses lunettes cerclées de noir.
Tour à tour titulaire de la Culture et du tourisme, puis du Tourisme et des loisirs dans le gouvernement du président sénégalais Macky Sall, il a dû renoncer à ses portefeuilles ministériels lors du remaniement gouvernemental de septembre dernier. Mais il n’a pas perdu au change: il s’est vu propulser conseiller à la présidence, avec rang de ministre. L’intitulé exact de sa nouvelle mission n’a pas été précisé.
Il aurait, en quelque sorte, carte blanche pour promouvoir l’image du Sénégal. Dans ses nouvelles fonctions, le chanteur, surnommé «You» par ses fans, sera beaucoup plus libre de ses mouvements qu’il ne l’était au sein du gouvernement. Ce qui n’est pas pour lui déplaire. «Je dispose de bureaux à la Présidence, mais je peux voyager comme bon me semble», explique l’artiste aux mains virevoltantes.
You est aussi un homme d’affaires à succès. Quand les adolescents de sa génération usaient les bancs des écoles, Youssou Ndour chantait déjà dans des mariages et des baptêmes. Il n’a pas fréquenté le lycée. Et pourtant, il ne lui aura pas fallu plus de dix ans pour se tailler un empire d’influence dans les médias sénégalais.
Il a si bien réussi dans le secteur que ses compatriotes l’ont surnommé «citizen Kane». Fondateur en 2003 du groupe de presse Futurs Médias, il s’est d’abord lancé dans l’aventure de la presse avec L’Observateur. Le quotidien qui tire à 100 000 exemplaires, un record en Afrique francophone, est rapidement devenu le plus lu du Sénégal.
Sa radio, RFM, est aussi la plus écoutée du pays. «Même ma télévision, TFM [fondée en 2010], est désormais la plus regardée», s’enthousiasme celui qui possède également une imprimerie (Roto : iGFM) et se lance désormais à la conquête d’Internet. «Les barons du régime ne comprennent pas pourquoi ses médias ne font pas campagne pour le pouvoir. Lui rétorque que c’est précisément parce qu’ils restent indépendants qu’ils connaissent le succès», confie l’un des dirigeants de son groupe.
Sous l’ancien régime, il a dû se battre pour conserver le contrôle de L’Observateur. Karim Wade, le fils d’Abdoulaye Wade, qui a régné sur le Sénégal de 2000 à 2012, lorgnait ce titre influent.
Youssou Ndour a rétorqué que, s’il voulait un journal, il n’avait qu’à en créer un. Sous des dehors souriants et courtois, le chanteur sait aussi faire preuve de fermeté et de ténacité. Il a grandi dans la Médina, un quartier populaire de Dakar, où il est né en 1959. A l’école de la rue, il a appris à défendre ses biens avec âpreté. Une leçon qu’il applique aussi dans le monde des affaires, où il ne fait pas de cadeaux.
Pour bâtir sa réussite, Youssou Ndour n’a jamais hésité à ouvrir grand son portefeuille afin de débaucher les spécialistes les plus reconnus du secteur des médias à Dakar. «Ce n’est pas moi qui gère le pôle médiatique. J’ai su m’entourer de bons professionnels; après, je les laisse faire», confie-t-il modestement.
Le «citizen Kane» dakarois aime aussi travailler en famille ou avec des amis de très longue date. L’un de ses fils, Birane, est numéro deux du pôle médias. Et lorsqu’un différend oppose le patron à un cadre, il n’hésite pas à jouer avec la fibre familiale. Youssou peut ainsi rendre visite aux parents d’un employé récalcitrant afin de les encourager à changer l’opinion de leur fils.
Le ministre s’exprime doctement puis, soudainement, un sourire illumine son visage. Il parle à nouveau de musique, avec le regard malicieux de celui qui se sait né sous une bonne étoile et savoure les bons tours joués par la vie. D’ailleurs, son premier groupe s’appelait le Super Etoile. A Dakar, il possède également un studio d’enregistrement et une salle de concert, le Thiossane, où il se produit le week-end.
Youssou Ndour est parfois superstitieux, au point de suivre les recommandations des marabouts, telle date plutôt qu’une autre, et d’annuler en conséquence ses rendez-vous à la dernière minute. Mais You, mi-dieu, mi-saint pour ses compatriotes, a aussi la réputation de porter chance. Les Sénégalais qui le croisent cherchent à le toucher, à lui serrer la main.
En public, l’artiste ne boit pas d’alcool et ne fume pas davantage. Familier de l’Occident, dont il maîtrise parfaitement les codes, il joue aussi à la perfection son rôle de modèle social en son pays, où il réside toute l’année. Musulman comme 95% de ses concitoyens, il appartient au mouvement mouride, une puissante confrérie musulmane du Sénégal, dont il n’aurait pas l’idée d’enfreindre les commandements religieux.
Youssou Ndour apprécie les balades dans la capitale qui l’a vu grandir. Quand il déambule dans les rues de la Médina, il s’arrête tous les deux mètres pour converser avec les gens venus de toutes parts le saluer, lui demander de poser pour une photo.
Disponible, il se prête au jeu de bonne grâce. Les Sénégalais ne comprendraient pas qu’il refuse d’être leur «trésor national». A ses concerts, toutes les générations se pressent. Au Thiossane, sur sa musique, il n’est pas rare de voir une famille entière danser: mères, grands-mères et petites-filles réunies.
Au détour de sa promenade, You est particulièrement fier de montrer l’immeuble élégant qui abrite son empire médiatique, installé au bord de l’océan, à deux pas de la maison familiale. «Rien que dans mon groupe média, j’emploie plus de 500 personnes», insiste You. Une manière de souligner qu’il a, avant tout, investi au Sénégal. «Je vis dans mon pays, alors que tant d’Africains ont préféré s’exiler», rappelle-t-il.
Lui est resté à Dakar, et c’est ici que le monde lui rend visite. Lors de son passage au Sénégal en juillet 2013, Barack Obama, le président américain, s’est longuement attardé à ses côtés. «Il m’a dit qu’il me connaissait bien et qu’il avait ma musique dans son iPad», se remémore Youssou Ndour dans un sourire gourmand.
You n’a pas son pareil au Sénégal pour se mettre dans le champ des caméras. Sa complicité apparente avec Barack Obama n’a d’ailleurs pas manqué d’irriter dans l’entourage du président Macky Sall. Pourtant, les deux hommes restent proches.
Lors de la présidentielle de mars 2012, You a fait une entrée fracassante dans l’arène politique. «Le pays était dans une situation grave, c’est pour ça que je me suis engagé en politique. Il fallait aider le Sénégal à se relever», explique le chanteur. Sa candidature a été rejetée par le Conseil constitutionnel, mais ses critiques contre l’ancien régime ont pesé.
Elles ont contribué à l’élection de Macky Sall, pour qui il avait appelé à voter, et qui a tout intérêt à conserver d’excellentes relations avec le plus connu des Sénégalais à l’étranger.
Youssou Ndour cultive-t-il encore des ambitions présidentielles? Sera-t-il candidat lors du scrutin de 2017 ? C’est fort probable. Son appétit politique n’a jamais cessé de croître. Et cela fait déjà longtemps que les graffitis le proclament sur les murs de Dakar: «Youssou président!»
Un article de Pierre Cherruau
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L’artiste sénégalais est un caméléon: ministre et patron de presse, il n’en reste pas moins le maître incontesté du mbalax, ce rythme typiquement dakarois qui a séduit les Sénégalais avant de conquérir le public aux quatre coins du monde.
Youssou Ndour a la poignée de main chaleureuse. Il glisse quelques plaisanteries et prend le temps des politesses avant d’entrer dans le vif du sujet en réajustant ses lunettes cerclées de noir.
Tour à tour titulaire de la Culture et du tourisme, puis du Tourisme et des loisirs dans le gouvernement du président sénégalais Macky Sall, il a dû renoncer à ses portefeuilles ministériels lors du remaniement gouvernemental de septembre dernier. Mais il n’a pas perdu au change: il s’est vu propulser conseiller à la présidence, avec rang de ministre. L’intitulé exact de sa nouvelle mission n’a pas été précisé.
Il aurait, en quelque sorte, carte blanche pour promouvoir l’image du Sénégal. Dans ses nouvelles fonctions, le chanteur, surnommé «You» par ses fans, sera beaucoup plus libre de ses mouvements qu’il ne l’était au sein du gouvernement. Ce qui n’est pas pour lui déplaire. «Je dispose de bureaux à la Présidence, mais je peux voyager comme bon me semble», explique l’artiste aux mains virevoltantes.
You est aussi un homme d’affaires à succès. Quand les adolescents de sa génération usaient les bancs des écoles, Youssou Ndour chantait déjà dans des mariages et des baptêmes. Il n’a pas fréquenté le lycée. Et pourtant, il ne lui aura pas fallu plus de dix ans pour se tailler un empire d’influence dans les médias sénégalais.
Il a si bien réussi dans le secteur que ses compatriotes l’ont surnommé «citizen Kane». Fondateur en 2003 du groupe de presse Futurs Médias, il s’est d’abord lancé dans l’aventure de la presse avec L’Observateur. Le quotidien qui tire à 100 000 exemplaires, un record en Afrique francophone, est rapidement devenu le plus lu du Sénégal.
Sa radio, RFM, est aussi la plus écoutée du pays. «Même ma télévision, TFM [fondée en 2010], est désormais la plus regardée», s’enthousiasme celui qui possède également une imprimerie (Roto : iGFM) et se lance désormais à la conquête d’Internet. «Les barons du régime ne comprennent pas pourquoi ses médias ne font pas campagne pour le pouvoir. Lui rétorque que c’est précisément parce qu’ils restent indépendants qu’ils connaissent le succès», confie l’un des dirigeants de son groupe.
Sous l’ancien régime, il a dû se battre pour conserver le contrôle de L’Observateur. Karim Wade, le fils d’Abdoulaye Wade, qui a régné sur le Sénégal de 2000 à 2012, lorgnait ce titre influent.
Youssou Ndour a rétorqué que, s’il voulait un journal, il n’avait qu’à en créer un. Sous des dehors souriants et courtois, le chanteur sait aussi faire preuve de fermeté et de ténacité. Il a grandi dans la Médina, un quartier populaire de Dakar, où il est né en 1959. A l’école de la rue, il a appris à défendre ses biens avec âpreté. Une leçon qu’il applique aussi dans le monde des affaires, où il ne fait pas de cadeaux.
Pour bâtir sa réussite, Youssou Ndour n’a jamais hésité à ouvrir grand son portefeuille afin de débaucher les spécialistes les plus reconnus du secteur des médias à Dakar. «Ce n’est pas moi qui gère le pôle médiatique. J’ai su m’entourer de bons professionnels; après, je les laisse faire», confie-t-il modestement.
Le «citizen Kane» dakarois aime aussi travailler en famille ou avec des amis de très longue date. L’un de ses fils, Birane, est numéro deux du pôle médias. Et lorsqu’un différend oppose le patron à un cadre, il n’hésite pas à jouer avec la fibre familiale. Youssou peut ainsi rendre visite aux parents d’un employé récalcitrant afin de les encourager à changer l’opinion de leur fils.
Le ministre s’exprime doctement puis, soudainement, un sourire illumine son visage. Il parle à nouveau de musique, avec le regard malicieux de celui qui se sait né sous une bonne étoile et savoure les bons tours joués par la vie. D’ailleurs, son premier groupe s’appelait le Super Etoile. A Dakar, il possède également un studio d’enregistrement et une salle de concert, le Thiossane, où il se produit le week-end.
Youssou Ndour est parfois superstitieux, au point de suivre les recommandations des marabouts, telle date plutôt qu’une autre, et d’annuler en conséquence ses rendez-vous à la dernière minute. Mais You, mi-dieu, mi-saint pour ses compatriotes, a aussi la réputation de porter chance. Les Sénégalais qui le croisent cherchent à le toucher, à lui serrer la main.
En public, l’artiste ne boit pas d’alcool et ne fume pas davantage. Familier de l’Occident, dont il maîtrise parfaitement les codes, il joue aussi à la perfection son rôle de modèle social en son pays, où il réside toute l’année. Musulman comme 95% de ses concitoyens, il appartient au mouvement mouride, une puissante confrérie musulmane du Sénégal, dont il n’aurait pas l’idée d’enfreindre les commandements religieux.
Youssou Ndour apprécie les balades dans la capitale qui l’a vu grandir. Quand il déambule dans les rues de la Médina, il s’arrête tous les deux mètres pour converser avec les gens venus de toutes parts le saluer, lui demander de poser pour une photo.
Disponible, il se prête au jeu de bonne grâce. Les Sénégalais ne comprendraient pas qu’il refuse d’être leur «trésor national». A ses concerts, toutes les générations se pressent. Au Thiossane, sur sa musique, il n’est pas rare de voir une famille entière danser: mères, grands-mères et petites-filles réunies.
Au détour de sa promenade, You est particulièrement fier de montrer l’immeuble élégant qui abrite son empire médiatique, installé au bord de l’océan, à deux pas de la maison familiale. «Rien que dans mon groupe média, j’emploie plus de 500 personnes», insiste You. Une manière de souligner qu’il a, avant tout, investi au Sénégal. «Je vis dans mon pays, alors que tant d’Africains ont préféré s’exiler», rappelle-t-il.
Lui est resté à Dakar, et c’est ici que le monde lui rend visite. Lors de son passage au Sénégal en juillet 2013, Barack Obama, le président américain, s’est longuement attardé à ses côtés. «Il m’a dit qu’il me connaissait bien et qu’il avait ma musique dans son iPad», se remémore Youssou Ndour dans un sourire gourmand.
You n’a pas son pareil au Sénégal pour se mettre dans le champ des caméras. Sa complicité apparente avec Barack Obama n’a d’ailleurs pas manqué d’irriter dans l’entourage du président Macky Sall. Pourtant, les deux hommes restent proches.
Lors de la présidentielle de mars 2012, You a fait une entrée fracassante dans l’arène politique. «Le pays était dans une situation grave, c’est pour ça que je me suis engagé en politique. Il fallait aider le Sénégal à se relever», explique le chanteur. Sa candidature a été rejetée par le Conseil constitutionnel, mais ses critiques contre l’ancien régime ont pesé.
Elles ont contribué à l’élection de Macky Sall, pour qui il avait appelé à voter, et qui a tout intérêt à conserver d’excellentes relations avec le plus connu des Sénégalais à l’étranger.
Youssou Ndour cultive-t-il encore des ambitions présidentielles? Sera-t-il candidat lors du scrutin de 2017 ? C’est fort probable. Son appétit politique n’a jamais cessé de croître. Et cela fait déjà longtemps que les graffitis le proclament sur les murs de Dakar: «Youssou président!»
Un article de Pierre Cherruau
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