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APRES LE JOOLA, L’ORNIERE DES ROUTINES

Rédigé par leral.net le Samedi 26 Septembre 2020 à 22:00 | | 0 commentaire(s)|

 C’est bien chez nous, au Sénégal, en Afrique, que la mer a tué comme elle n’a jamais tué dans l’histoire mondiale de la navigation. Nous n’avons pas trouvé de coupables, nous n’avons trouvé que des victimes dont la plupart ont été abandonnées aux flots ; et aucune mesure sérieuse, au niveau national, n’est venue enrichir […]

 C’est bien chez nous, au Sénégal, en Afrique, que la mer a tué comme elle n’a jamais tué dans l’histoire mondiale de la navigation. Nous n’avons pas trouvé de coupables, nous n’avons trouvé que des victimes dont la plupart ont été abandonnées aux flots ; et aucune mesure sérieuse, au niveau national, n’est venue enrichir notre système de sécurité ; les routes continuent d’être encombrées par des véhicules d’un autre âge et des chauffards dont la plupart sont des enfants aux volants de grosses cylindrées, souvent défaillantes, des chauffards sans conscience, hors-la-loi, occupent nos routes comme des gangsters. Nous n’avons pas été capables de lutter efficacement contre les inondations dans nos villes malgré les importantes ressources financières mises à la disposition des acteurs : chaque hivernage a ses lots de malheurs parfaitement prévisibles. Des Sénégalais sont tués comme l’on tue des mouches au vu et au su de tout le monde. A cause de la force de notre « mas-laha », les bourreaux sont libres et récidivent. Nous vivons, au plan mondial, une triste période faite de violences et de cruautés ; au Sénégal, en sus, nous vivons dans le désordre, un désordre épouvantable, or le désordre fait le lit des criminels, des terroristes.

Cet appel a été déjà diffusé par plusieurs organes de presse de notre pays sans recevoir d’écho attendus. Après le naufrage du Joola et toutes ces catastrophes qui continuent d’ensanglanter nos routes et d’endeuiller des centaines de familles et des ordures et eaux usées qui envahissent tous nos espaces dans l’indifférence presque provocante des décideurs, de l’insécurité qui s’installe de jour en jour confortablement, il est temps que ces décideurs se réveillent et mettent courageusement en application toutes mesures passées, présentes et futures en la matière avec toute la rigueur qu’il faut sans relâchement ; on sait que nos mesures de sécurité sont nombreuses déjà et qu’elles naissent le matin sous le coup de l’émotion et meurent le soir par insouciance. Nous savons que pour la sécurité aérienne, maritime et routière et pour la lutte contre l’insalubrité et le désordre dans notre administration moribonde, des mesures salutaires sont mises en place par la puissance publique. Sont-elles réellement appliquées ? Ont-elles pu résister, dans le temps et dans l’espace, à notre laxisme légendaire ? Ces mesures, convenablement exécutées, auraient contribué indirectement à la lutte contre certaines formes de racisme dont le continent est victime. Aux yeux du raciste, qui dit « nègre » dit insalubrité dans tous les aspects du concept, dit désordre et insouciance, paresse et lubricité insatiable. Mais qu’est devenue la loi sur l’usage du plastique, qui demeure incontrôlé ? Que sont devenues les nombreuses mesures vigoureusement annoncées aux différents conseils des ministres ? Nous, élites politique, intellectuelle, économique, nous, hauts cadres de la fonction  publique, si nous parvenons à créer artificiellement et à imposer aux concitoyens les places que nous occupons dans la société, à sacraliser à tort nos fonctions, nous ne nous sommes jamais souciés sérieusement de leur santé physique et morale, moins encore de notre dignité commune. Pas le moindre souci d’éduquer, de partager honnêtement notre savoir avec eux. Tout se passe comme si nous nous complaisions à vivre intensément les énormes avantages liés aux valeurs du monde moderne et à maintenir nos populations dans un état moyenâgeux. D’où l’impossibilité de faire décoller nos pays et de nous faire respecter dans le monde. Qu’on ne vienne pas soutenir la fausse et ridicule exception sénégalaise ! En Afrique, nous sommes tous dans la même barque.

Pour lutter contre nos tares, une journée nationale de la discipline et de la sécurité ne serait-elle pas nécessaire ou, à défaut, un observatoire sous la direction de fortes personnalités compétentes du pays ? C’est l’objet de cet appel que nous nous proposons de diffuser à chaque anniversaire du naufrage du Joola tant que des mesures franchement audacieuses à la hauteur de la catastrophe n’auront pas été prises par nos gouvernants et appliquées concrètement sur le terrain. Oui, la catastrophe est énorme et le désordre, l’irresponsabilité, qui l’ont provoquée, persistent. Il faut sans cesse se la rappeler, ressasser son histoire. Je sais que la pratique de l’oubli est considérée, chez nous, comme une vertu. Horrible culture que celle de l’oubli ! Qui se complaît à oublier ne peut vivre qu’un présent flou et n’envisager qu’un avenir incertain parce que sans racine. C’est le lieu de remercier et de féliciter notre célèbre romancier, le  talentueux Boubacar Boris Diop, pour avoir consacré une solide œuvre romanesque au naufrage du Joola à jamais immortalisé.

            Ce 26 septembre 2020 – date fatidique – rappellera encore, à la nation et au reste du monde, l’épouvantable naufrage du Joola en 2002 et, immanquablement, interpellera les consciences, car la cause fondamentale de cette catastrophe est essentiellement humaine. Ce fut le plus grand naufrage, en temps de paix, que les Temps modernes n’avaient jamais connu. Funeste record enregistré sur nos terres pour l’éternité.

            Comme nous le savons, l’histoire de ce naufrage est complexe et pénible à supporter, complexe et pénible parce que, à tout considérer avec objectivité, il n’est rien de moins qu’une œuvre humaine. Si nous refusons de le reconnaître à travers des gestes d’une haute portée morale, politique, éducative, sécuritaire, des gestes fortement symboliques, les générations à venir nous condamneront et donneront, tôt ou tard, à cette catastrophe, ses véritables dimensions, et prendront des décisions à la hauteur de l’événement, unique dans les annales de l’histoire maritime de notre planète.

            Certes, il y avait eu le naufrage célèbre du Titanic, en 1912, mais celui-ci n’avait enregistré que 1513 morts sur 2224 passagers, alors que le Joola a enregistré environ 1883 morts sur 1946 passagers si l’on se contente des chiffres officiels. La différence est énorme entre les deux plus grands sinistres maritimes en temps de paix. L’histoire a fini par révéler les efforts titanesques accomplis par l’équipage du Titanic pour sauver ses passagers ; nous ignorons presque tout du comportement de l’équipage du Joola ; du reste, en avait-il reçu la formation adéquate ? Certes, nous savons aujourd’hui que l’iceberg n’était pas l’unique responsable du naufrage du Titanic et qu’il y avait bien eu une combinaison de facteurs humains qui l’avait favorisé, mais, ici, ces facteurs humains ne relèvent pas du désordre monstrueux qui avait été à l’origine du naufrage du Joola.  L’effort humain avait réussi à faire du Titanic le navire non seulement le plus luxueux, mais aussi le plus techniquement sûr de l’époque. Dans son naufrage, l’homme est moins à blâmer.  Le Joola, dont la capacité est de 580 passagers, a osé utiliser, en plein jour, au vu et au su des autorités politiques et administratives et de la population, presque 4 fois plus de sa capacité, sans parler des camions surchargés de marchandises. Sûr de ses surcharges, il a osé ainsi affronter l’océan ! C’est dire que nous sommes collectivement responsables de cette catastrophe.

            Ce qui émeut le plus dans l’histoire de ces deux catastrophes, c’est l’énorme différence dans le traitement des deux dossiers et dans l’attitude des citoyens : l’Angleterre et les Etats-Unis s’étaient alors sérieusement penchés sur la sécurité maritime en mettant en place de nouvelles réglementations qui ont sauvé un nombre incalculable de vies humaines. Ils ont ainsi agi à la hauteur des attentes de leurs populations ; grâce aux gestes posés par les politiques de l’époque, le maximum de bien a été extrait de cette catastrophe et les 1513 morts ont dû sauver, de 1912 à nos jours, des milliers de vies humaines.

Le 27 mars 1977, l’aviation commerciale a connu la plus grande catastrophe de son histoire, appelée le « crash du siècle » parce que le plus meurtrier : un Boeing 747 de la compagnie KLM en décollage, à plus de 250 km à l’heure, entre en collision avec un Boeing 747 de la Pan American alors en piste : 583 morts, environ le tiers du nombre des victimes du Joola. Le monde entier en était fortement ému et en a porté le deuil d’autant plus tristement que la cause était singulièrement humaine, comme celle du naufrage du Joola. A l’enquête ont participé non seulement des experts aéronautiques de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et des représentants des deux compagnies, mais aussi des experts des pays concernés : Pays-Bas, Etats-Unis, Espagne. Ce qui constitue déjà un témoignage éloquent de l’intérêt que les autorités des pays concernés et les responsables des deux compagnies aériennes ont accordé à la catastrophe. L’enquête révèlera que la dégradation des conditions climatiques était nettement insignifiante au regard des défaillances humaines. Et les responsabilités ont été dites et clairement situées. Les recommandations faites par les experts ont transformé et renforcé la sécurité aérienne grâce à la vigilance et à la volonté d’agir non seulement des trois pays concernés par la catastrophe, mais aussi de toutes les régions du monde.

            Qu’avons-nous tiré, nous, petit pays du Sahel, du naufrage du Joola ? Presque rien ! Faut-il étaler, avec insouciance, en toutes occasions, notre indigence intellectuelle et morale devant un monde souvent ébahi devant nos gestes ? Il y a eu sans conteste un « avant » Joola, fait de désordre et d’insouciance, mais il n’y a manifestement pas eu un « après » Joola, fait de vigoureuses mesures de prévention ! Pourtant, nous ne sommes qu’une quinzaine de millions de Sénégalais ; la disparition, en un jour, en quelques maigres heures, de presque 2000 de nos compatriotes dont la plupart sont des jeunes, mérite notre attention – hélas, souvent trop distraite en bien des circonstances ! Il est urgent d’en tirer quelque chose d’utile, un bien que nous ne devons qu’à cette catastrophe, mais comment ?

            Utiliser le 26 septembre de chaque année comme un instrument précieux pour célébrer l’ordre – le geste qui sauve -, pour lutter contre le désordre – le geste qui tue -, en d’autres termes, faire de cette date la Journée nationale de la discipline et de la sécurité contribuerait non seulement à laver la honte aux yeux du monde, mais à sauver d’autres vies humaines. Le président Paul Kagamé et son gouvernement ont bien réussi à instaurer une « Journée nationale de nettoiement », instituée non pas chaque année, mais chaque mois. Le monde entier est ébahi devant les résultats spectaculaires d’une telle mesure. Une Journée nationale de la discipline et de la sécurité, à tenir annuellement, sera célébrée dans toutes nos régions, dans les villes comme dans les villages, dans nos écoles : des rencontres animées par des spécialistes de la sécurité ; par des sociologues, des universitaires, des associations apolitiques, des ONG, des corps comme la Gendarmerie et la Police, des débats dans les médias, des prières dans les mosquées et les églises, etc. Occasion exceptionnelle de faire aussi l’état des lieux, chaque année, en terme de sécurité et de salubrité car le désordre, lit confortable et fertile de l’insécurité, est l’un de ces puissants facteurs qui créent et entretiennent le sous-développement dans les pays africains. A défaut de l’instauration d’une journée nationale de la discipline et de la sécurité, la création d’un observatoire, dirigé par des personnalités compétentes et crédibles, s’impose. Trop de désordres de toute nature empêchent notre pays de « décoller ». Le désordre constitue le principal fléau de notre pays.

            Le monstre a différents visages et différents noms sous les Tropiques. Il étale partout, au propre et au figuré, la saleté et les mauvaises odeurs. Le désordre est dans nos bureaux, dans nos foyers, sur les places publiques ; il est dans nos palais ; il est dans nos écoles, dans nos universités ; il est dans nos rues et sur nos routes ; il est dans nos champs, dans nos ateliers ; il est dans nos cabinets d’expertise, dans nos hôpitaux ; il est même dans nos morgues et dans nos cimetières ! Il est partout et partout il nous déshonore… Le désordre, ce monstre de laideur, terrifie tout effort de construction, d’émergence dans nos pays ! Bien insensé est celui qui croit à l’émergence d’un pays dans le désordre

Makhily GASSAMA

 



Source : https://letemoin.sn/apres-le-joola-lorniere-des-ro...