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Alioune Badiane : «L’aéroport de Diass est une bonne initiative pour sauver Dakar»

Rédigé par leral.net le Mardi 4 Décembre 2012 à 11:34 | | 0 commentaire(s)|

Entretien avec… Alioune Badiane, directeur Onu-habitat pour l’Afrique et les pays arabes : «L’aéroport de Diass est une bonne initiative pour sauver Dakar»


Alioune Badiane : «L’aéroport de Diass est une bonne initiative pour sauver Dakar»
La démolition de bâtiments, prônée par le Premier ministre pour régler le problème des inondations, est soutenue par le Directeur Onu-Habitat pour l’Afrique et les pays arabes. Alioune Badiane, qui participait à un colloque de l’Institut d’Urbanisme de l’Université de Montréal sur le thème «Repenser les moyens d’une sécurisation foncière urbaine», fustige les nombreuses erreurs de la gestion foncière au Sénégal. Il parle, dans cet entretien, de l’échec du Plan Jaxaay, de l’opportunité de l’aéroport de Diass pour décongestionner Dakar, du péril urbain consécutif à la ruée des populations rurales vers les villes et de l’urgence de la prise en charge des questions de sécurisation foncière en Afrique.

Wal Fadjri : Au cours des 25 prochaines années, près de 2 milliards de personnes seront en quête d’un logement selon un rapport de l’Onu-Habitat. Comment toute cette ruée urbaine va être gérée pour éviter une catastrophe urbaine ?
Alioune BADIANE : C’est vrai qu’il y a, aujourd’hui, péril en la demeure à cause de l’urbanisation galopante, surtout de par son côté pauvreté et manque de préparation des villes africaines. A travers le monde, l’urbanisation s’est majoritairement imposée depuis 2010. La majorité des populations vivent dans les villes. En Afrique, du point de vue des statistiques, nous sommes autour de 40 à 41 % d’urbanisation. Ce qui veut dire environ 401 millions d’habitants qui vivent dans les villes africaines. De ce chiffre, nous pouvons compter qu’environ 60 % vivent encore dans des bidonvilles avec tout ce que cela comporte en termes de manque d’eau, d’assainissement, d’accès à la santé, à l’éducation pour les jeunes, etc. Il y a aujourd’hui péril urbain, mais à côté de ce péril, si nous pouvons regarder ce que représentent les zones urbaines comme moteur de la croissance économique et du développement national, je crois que le choix est vite fait. Ce, d’autant plus que la tendance du rural à l’urbain est un flux continu. On ne peut pas arrêter la mer avec ses bras. Des pays ont essayé de freiner ce mouvement, mais les populations vont continuer à bouger pour plusieurs raisons. D’abord, l’éducation fait bouger les gens. Le rural, pour autant qu’on apprécie sa contribution à l’économie nationale, n’est pas comparable à la zone urbaine. Qui contribue environ à 60 % du Pib dans les pays en développement de par les emplois qu’elle génère, de par les possibilités de développement industriel, de développement technologique, des emplois dans la santé, dans l’administration….
Les villes génèrent des ressources immenses. Il y a de la pauvreté dans les villes, mais les villes sont riches. C’est la raison pour laquelle nous devons regarder l’autre côté de la médaille, de ce que les villes peuvent apporter. J’ai eu la confession du maire de la ville chinoise de 7,5 millions d’habitants qui me disait «Alioune, pendant 3 mille ans, nous nous sommes attelés à assurer notre sécurité alimentaire, mais pendant 25 ans nous nous sommes développés grâce à l’organisation de nos villes». C’est ça la réalité : les villes peuvent être des moteurs de développement. Le défi est immense, surtout en Afrique où les gens ne planifient pas par avance pour empêcher à ce que les bidonvilles ne se développent de façon infinie pour éviter que les gens arrivent comme des masses de population à la recherche de meilleures conditions de vie sans qu’elles ne reçoivent une quelconque attention de la part des édiles. Je pense qu’il est possible de planifier. On ne dit pas de mettre des routes, de l’eau, de l’assainissement, mais de déterminer des voies, des parcellaires qui peuvent accueillir les gens sans être obligé de casser. Il n’y a rien de pire, et j’en ai vu au Sénégal, que des investissements détruits. Dans des pays pauvres, nous n’avons pas le droit de détruire le capital social, le capital financier difficilement amassé par des populations à la recherche d’habitats. Il y a une responsabilité de l’Etat. Si on laisse des populations s’installer pendant cinq, dix ans, construire de l’habitat et venir détruire, je crois que c’est une faute que seules les populations ne doivent pas supporter.
«Les cadres moyens et les riches se sont logés, mais le tiers des pauvres a été ceux qui se sont retrouvés dans les inondations à Dakar, à Pikine, à Guédiawaye»
Malgré les rencontres Habitat 1 et 2, et l’on s’achemine vers Habitat 3 en juin 2016, un constat d’échec est partagé par les acteurs sur la difficile conciliation entre les pratiques coutumières et les usages modernes. Le Sénégal n’échappe pas à cette problématique. Comment repenser l’habitat urbain ?
Je ne pourrais pas parler d’échec parce qu’à chaque processus de ces grandes conférences internationales, nous avons évalué les résultats. Notre organisation (Onu-Habitat : Ndlr) est née à Vancouver en 1976. En ce moment-là, la plupart des pays en développement étaient à un très bas niveau en termes de fournitures d’habitats et d’équipements de base. Nous nous sommes surtout concentrés pendant cette première double décade sur la production des connaissances. Nous avons beaucoup travaillé sur les matériaux locaux, sur les politiques de l’habitat. Aujourd’hui, nous avons mis en place pas mal d’institutions comme Shelter Afrique qui financent aujourd’hui les Etats pour produire de l’habitat. Malheureusement, la difficulté de ces deux décennies a été de ne pas pouvoir tenir compte des pauvres, mais très sincèrement les cadres moyens et les riches se sont logés, mais le tiers des pauvres a été ceux qui se sont retrouvés dans les inondations à Dakar, à Pikine, à Guédiawaye. Ce fut le cas un peu partout. Dès après 1996 à Istanbul, le monde s’est réveillé pour lutter contre la pauvreté. Au niveau d’Onu-Habitat, nous avons transformé cette lutte contre la pauvreté en lutte pour l’amélioration des conditions de vie des bidonvilles des populations. Nous allons nous retrouver à la fin de ce mois du 25 au 28 novembre (Ndlr, entretien réalisé au début de novembre) à Rabat au Maroc où une grande conférence internationale va réunir les 20 meilleures performances mondiales en termes de lutte contre la bidonvilisation. On a aussi invité quinze pays africains pour venir voir comment les meilleurs ont travaillé. Je dois vous dire que cela demande une très grande volonté politique. Le Maroc qui abrite la rencontre a mis 1,5 milliard de dollars en dix ans pour essayer de résorber la question des bidonvilles. Aujourd’hui, le Maroc fait partie des meilleures performances mondiales en termes de lutte contre les bidonvilles.
Nous avons à ce niveau, la Chine, le Brésil, l’Indonésie, l’Inde, le Ghana, le Kenya. Le Sénégal fait aussi partie de ce groupe parce que beaucoup de travail a été fait à ce niveau. Nous avons très peu de bidonvilles qui nous restent. Nous avons travaillé sur la question foncière pour que l’Etat accepte de reconnaître que chaque citoyen a le droit d’accéder à une parcelle d’habitation, quitte à ce que tout ménage se serre la ceinture pour après cinq ans, voire dix ans, construire un habitat pour lui. Ce dernier tiers n’a pas la plupart du temps de revenus suffisants pour pouvoir accéder à un prêt bancaire. Les banques ne prêtent pas aux pauvres. Il faudra trouver des mécanismes pour les soutenir. C’est ce qui explique le programme des Parcelles Assainies démarré au Sénégal dans les années 80. Ce programme a été vulgarisé en Afrique et un peu partout dans le monde. Il a permis aujourd’hui d’abriter une population de plus de 120 mille âmes. Ce programme de Parcelles Assainies a été reconduit en prenant l’exemple de la Zone d’aménagement concertée (Zac) dans plusieurs zones du Sénégal pour pouvoir donner aux populations pauvres la possibilité d’accéder à un toit.
Mais malgré un tel bilan, la question de la sécurité et de la régularisation foncière se pose avec acuité encore dans notre pays…
Exactement. Pendant que des efforts ont été faits en matière de politique et de mise en place de programmes d’habitat, de programme de parcelles assainies, la population continuait à venir des zones rurales vers les zones urbaines parce qu’il y a eu simplement des catastrophes, comme la sécheresse, qui ont continué à pousser les populations rurales d’aller vers les zones urbaines. Malheureusement, au niveau des villes, il n’y a pas assez de décentralisation pour permettre aux autorités locales d’anticiper sur ces mouvements de populations qui viennent de Tambacounda, du Fleuve, de la Casamance… Et souvent, arrivées à Dakar, elles s’installent dans les marges de la ville. Les maires, faute de moyens reçus de l’Etat, sont totalement démunis par rapport à ce problème. Il faut aussi reconnaître que quand l’Etat a décentralisé, les maires n’ont pas été assez vigilants. Des maires ont commencé à vendre des parcelles qui auraient dû simplement être distribués aux populations. Nous reconnaissons que le bilan est mitigé, mais en regardant comment la richesse des villes s’est constituée, la possibilité au Sénégal d’avoir accès à l’eau et à l’assainissement, les gens ont fait de très grands efforts. Le Sénégal est l’un des pays en Afrique qui devrait atteindre ses objectifs du Millénaire en termes d’eau et assainissement grâce aux efforts réalisés dans des programmes comme le Pepam. Dans le domaine de l’habitat, il y a des efforts à faire surtout lorsqu’on voit ce qui s’est passé lors des inondations.
«Les zones naturelles, il faut les retourner à la nature en essayant de préserver ces zones écologiques dont nous avons besoin pour préserver l’équilibre de la nature».
Justement par rapport aux inondations, vous êtes contre les démolitions, mais il faut savoir délimiter les responsabilités entre les populations, les autorités centrales et les collectivités. La démolition devient alors un mal nécessaire sur des zones non ædificandi….
Je suis d’accord avec vous. Il y a des erreurs immenses qui ont été faites par les populations. Le Premier ministre Abdoul Mbaye a exprimé de telles positions et il a été traité durement, mais il a eu raison parce qu’il y a eu des erreurs. Je reconnais que quand des populations s’installent dans des zones où elles ne doivent pas s’installer, on ne peut pas les repêcher. On ne peut pas régler le problème en pompant l’eau ou faire autre chose. Je suis en phase avec le Premier ministre sur les démolitions. Les zones naturelles, il faut les retourner à la nature en essayant de préserver ces zones écologiques dont nous avons besoin pour préserver l’équilibre de la nature. Dans la vieille capitale, Saint-Louis, ou à Thiès ou un peu partout où les gens se sont installés dans des zones non ædificandi, il faut les déplacer….Mais, on ne peut pas venir avec des bulldozers, il faut quand même respecter les droits des personnes. Le Sénégal est quand même un pays de droit. Il y a eu des erreurs qui ont été faites parce que les populations ne se sont pas installées sur ces sites de leur propre gré. Si vous regardez derrière c’est quelqu’un qui leur a vendu un terrain avec la complicité d’une personne des domaines ou du cadastre. Les gens ont déboursé 200 mille, 500 mille, ou un million de francs pour se retrouver malheureusement quelques mois après dans l’eau. Les gens sont abusés quelques fois de leur naïveté par des coutumiers du fait qu’ils veulent avoir un terrain où se loger. Des coutumiers qui ne le sont plus. Ceux-ci sont devenus des marchands de rêve pour abuser des demandeurs.
L’ancien régime avait mis en place le plan Jaxaay qui aurait pu marcher s’il y avait l’orthodoxie, s’il y avait la prudence dans la gestion et s’il avait été bien géré. Malheureusement, le plan Jaxaay n’avait pas été bien géré. Les gens pourraient aménager dans des zones correctes. Ce que l’Etat devra faire, c’est investir grandement dans la planification pour trouver des zones entre Dakar et Diamniadio où il y a de bonnes terres qui ne sont pas inondables. Les populations s’installent dans des zones propices abritant des activités économiques. L’aéroport de Diass est une très bonne initiative pour créer une soupape qui attire parce que Dakar est devenu tellement chargée avec une mobilité coincée. Si vous voyez le flot de véhicules qui entrent et qui sortent de Dakar chaque jour, c’est inacceptable. Encore une fois, c’est une très bonne idée du président Wade de faire sortir la capitale, mais cela ne s’est pas réalisé parce que certainement il n’a pas eu le temps… Aujourd’hui, on peut faire une zone de sécurité spéciale à Diamniadio pour permettre aux populations de Pikine et Guédiawaye au lieu d’aller à Dakar de tourner vers Thiès, Diass et Diamniadio. Le Sénégal n’y échappera pas. Il ne pourra pas faire l’économie d’une autre zone d’activités économiques. Dakar abrite 90 % des activités productives du pays pour une population qui va bientôt doubler dans dix, voire quinze ans. Dakar est trop exiguë.
Une telle approche demande une vision globale entre tous les acteurs. Récemment, le président Macky Sall a nommé l’avocat Doudou Ndoye pour les questions foncières. Quelle sera alors la démarche globale à mettre en place ?
C’est pour cette raison que nous allons (Onu-Habitat) à Dakar avec mon directeur exécutif et une délégation de 22 personnes pour assister au Forum Africités du 4 au 8 décembre et rencontrer le chef de l’Etat pour lui affirmer l’engagement d’Onu-Habitat qui a un moment aidé les villes de Dakar, Saint-Louis, Kaolack, Rufisque, Meckhé… Nous avons beaucoup de programmes sur place. Nous sommes une petite agence, donc nous ne pouvons pas régler tous ces programmes, mais je crois qu’il y a un besoin de symbiose, d’actions. C’est la raison pour laquelle nous sommes là avec l’Université de Montréal pour monter un programme assez ambitieux sur trois ou quatre ans pour le Sénégal et d’autres pays africains qui devront nous permettre de préparer Habitat 3 qui aura en juin 2016 à Istanbul en Turquie pour préparer le futur urbain. Nous sommes en train de progresser de l’habitat vers l’urbanisation performante, équilibrée qui permet aux populations de trouver de l’emploi, des activités de loisirs, de développement et lucratives contribuant à l’essor national. Depuis dix ans, nous réalisons des performances énormes sur le plan de la croissance malgré la crise. L’Afrique est aujourd’hui regardée comme le continent de l’espoir. C’est en cela que nous voulons aider les édiles, les gouvernements africains à mettre en place les bases du développement sur un plan à la fois économique et social et environnemental en améliorant le cadre des villes. Ce qui nécessite que les gens parlent de sols urbains et des infrastructures de bases qui structurent les territoires et la distribution des populations sur le sol de façon optimale autour d’un seul territoire.
Walfadjri