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Sous la menace d’un danger écologique

Rédigé par leral.net le Lundi 23 Juillet 2012 à 17:14 | | 0 commentaire(s)|

Docteur en Géographie, enseignant et chercheur à l’université Cheikh Anta Diop, Mame Cheikh Ngom se prononce sur les conséquences de la gestion foncière au niveau de la communauté rurale de Diass. L’exploitation des carrières et les effets ou impacts des embruns de poussière toxique sur le couvert végétal.


Sous la menace d’un danger écologique
Sud Quotidien : Quelles sont les données naturelles ou physiques de la zone de Diass ?

Mame Cheikh Ngom : Au plan géographique, la localité de Diass se distingue par la particularité de son relief plus ou moins accidenté dans cette partie du littoral sénégalais où prédominent les plaines et quelques vallons encaissés. Cette particularité géomorphologique, marquée par la présence des massifs et des plateaux, reliés aux dépressions de la Somone, explique la diversité des ressources naturelles (les ressources minières, pédologiques, fauniques, végétales, hydriques).

Quelles sont les exploitations recensées et autorisées au niveau des terroirs de Diass et de ses environs
Au plan minier, le sous sol de la partie nord de la communauté rurale est très riche en latérite et en gré blanc (le béton blanc). Cette richesse écologique explique l’implantation et/ou le foisonnement de plusieurs mines de carrière, de cimenterie et d’usines d’extraction minière dans les forêts de Thiès et Bandia. Actuellement, le nombre de carrières est passé du simple au quadruple en moins de cinq ans. Le ministère de l’environnement délivre des autorisations sans le respect des procédures qui consiste à planifier les exploitations. Cette dernière devrait permettre de faciliter la régénérescence à travers des opérations de restauration comme l’indiquent les clauses des contrats et les études d’impacts environnementales et sociales. Malheureusement, ces études sont biaisées à cause de la partialité des consultants, la corruption des promoteurs et la banalité des audiences publiques. D’autre part, il convient de signaler que les plans de gestion environnementaux et sociaux (Pges) et les quitus d’exploitation, délivrés sans l’aval des populations riveraines, ne respectent pas les normes, alors que celles-ci sont exposées aux risques et aux dangers.

Les exploitations impactent-elles sur le milieu physique et humain ?

Ces exploitations minières portent atteinte au couvert végétal de ces deux forêts, soit-disant classées. Qu’en est-il de la forêt classée de Diass, détruite inconsciemment par le régime de Wade pour la construction de l’aéroport. La forêt de Bandia se dégrade de jour en jour sans l’intervention des défenseurs de l’environnement. Certaines espèces végétales deviennent rares et la production de miel, principale activité des Gie de femmes, est compromise par la diminution des populations d’abeilles dont les écosystèmes sont impitoyablement menacés.
Ces exploitations minières sont très rentables. Elles sont évaluées à coût de plusieurs milliards par mois. Cependant, elles ne profitent qu’aux promoteurs privés, en majorité des étrangers et à l’Etat. Les collectivités locales environnantes et les populations environnantes sont laissées en rade alors qu’elles devraient être associées par souci de bonne gouvernance. Les révélations ont montré que le résidu de gré blanc contient du calcaire très recherché par les cimenteries. Cela explique l’arrivée de la cimenterie SDI dont l’implantation est refusée par les populations, le rachat de la SODEVIT par le groupe VICA de la SOCOCIM et l’arrivée annoncée d’autres cimenteries dont les études d’impact sont en cours.

Que préconisez-vous alors ?

Je souhaite que l’Etat applique les mesures suivantes :le repos écologique de ces zones de production minière, l’arrêt de la délivrance des certificats d’exploitation dans les forêts, le respect des clauses liées à la restauration des zones exploitées ,le respect des avis des populations lors des audiences publiques ,la démultiplication des audits environnementaux ,l’utilisation de capteurs de poussières pour la protection des végétaux ,le respect des normes de pollution conformément aux normes ISO ,le reboisement des forêts classées ,la démultiplication des aires communautaires.

Quelles conséquences à court et moyen terme dans la gestion des ressources ?

Au plan hydrologique, il se pose deux problèmes écologiques majeurs : l’affaissement de la nappe du Maestrichtien et la dégradation du bassin versant de la Somone.
A cause de cette forte industrialisation et de l’implantation de l’usine d’eau minérale, la nappe s’est beaucoup affaissée. L’eau de la nappe, comparable à celle de l’eau de roche, est de très bonne qualité. Mais les exploitations intensives des usines qui disposent chacune de grands forages entrainent le tarissement des puits et des points d’eau. Pour accéder à l’eau de puits, les villageois plongent leurs seaux à plus de cent mètres de profondeur. D’autre part cette eau n’est disponible que la nuit sous l’effet de la pression atmosphérique.
La Somone est un cours d’eau séculaire qui traverse la forêt de Bandia avant de se jeter dans les estuaires de la Somone. Son bassin versant a fait l’objet de plusieurs études, notamment par rapport à son rôle de régulateur écologique. Toutefois, je suis au regret de constater que ce cours d’eau n’a plus d’eau en permanence. Il est en train de faire ses pas dans l’histoire hydrologique du Sénégal car sa mort est presque annoncée. Beaucoup de ses affluents sont déviés par les travaux de l’aéroport et les lotissements. Il s’y ajoute le niveau de la nappe qui ne permet plus à la Somone de garder ses eaux de surface. Les percolations par gravitation alimentent la nappe, en particulier les eaux souterraines. La disparition de ce cours d’eau risque de compromettre la vie des animaux, des végétaux et des populations riveraines.

Quelles sont les mesures à prendre ?

Par rapport à cette situation l’Etat doit appliquer les réglementations du code de l’eau : imposer une exploitation judicieuse de l’eau, assurer une police de l’eau avec la protection des cours d’eau, élaborer une politique de revitalisation des bassins versants, imposer aux industriels le financement des projets d’adduction en guise de compense ou de ristourne.
La ressource animalière est devenue très rare à cause de la réserve de Bandia. Cette réserve a confisqué toutes les richesses animalières et culturelles de la zone.

Le phénomène de pillage des forêts est-il un fait nouveau ?

Le village Ndiorokh se trouvait dans la forêt. C’est lors de l’aménagement de la forêt en 1933 par le pouvoir colonial français que les populations ont été déguerpies sans des mesures d’accompagnement. Cette attitude est indigne et mérite d’être dénoncée. Vous trouverez dans la forêt des vestiges de puits, des pyramides et le baobab des griots (confisqué par la réserve) qui est un patrimoine historique des populations. Tous ces éléments historiques témoignent de l’existence de cette population autochtone dans la forêt.
Pour réparer cette injustice historique, la France doit implorer le pardon et indemniser ces populations déguerpies car l’objet de la création de cette forêt était l’approvisionnement du chemin de fer de la France en bois de chauffe. Je dénonce aussi l’attitude de l’Etat du Sénégal qui a autorisé cette réserve dont les dimensions actuelles sont truquées. Elles ne sont pas conformes aux dimensions réellement autorisées. La réserve part de 8 000ha à 35 000 ha.

Quels sont les autres maux que vous décriez ?

Le dernier point porte sur le centre d’enfouissement technique. Cette bombe écologique ne trouve pas sa place au sein des populations. Sa délocalisation est imminente d’autant plus qu’elle ne répond pas aux normes environnementales. Le collectif des cadres Say a publié le regard critique, où il dénonce toutes les imperfections de ce projet. Donc la solution la plus simple est sa délocalisation immédiate. D’autre part, j’en profite pour lancer un appel au Chef de l’Etat pour la libération inconditionnelle de toutes ces personnes dont en majorité des élèves qui sont emprisonnés à cause du CET. C’est injuste et je dénonce ce procès avec la plus grande fermeté. Le SAFENE est le parent pauvre du Sénégal. Malgré les ressources fortement exploitées par l’Etat et ses alliés, vous n’y trouverez pas un seul député pour la défense de ses intérêts, pas un seul sénateur au premier parlement pour dénoncer ces injustices et pas un seul membre au conseil économique, malgré tous les projets économiques en vue dont la zone économique intégrée, même pas la promotion des hauts cadres dans l’administration alors qu’ils sont très nombreux et aussi méritants que les uns et les autres. Vous trouverez dans le SAFENE toutes les ethnies du Sénégal, donc cette proposition n’a rien de sectaire ou ethnique.

Pourtant Diass est en voie de devenir un pôle de développement économique avec ses installations et l’aéroport international Blaise Diagne ?

L’ancien régime voulait faire de Diass un pôle de développement mais le fait de n’avoir pas associé les populations est selon moi la principale cause de leur échec. Au lieu d’avoir recours à l’ingéniosité de la politique d’aménagement du territoire pour corriger les déséquilibres, je lance un appel vibrant au chef de l’Etat et à son équipe pour que les injustices qui règne dans le Safène soient corrigées.
Si aucune solution n’est envisagée dans les meilleurs délais, par les pilleurs de nos ressources ou par les pouvoirs publics, alors je m’engagerais volontaire à la mobilisation des populations en vue d’organiser des marches de protestation pour sensibiliser l’opinion internationale et dénoncer toutes ces irrégularités à la plus haute cours de justice.